Bombes et blues

Dans le développement de l’Allegro moderato qui ouvre la 6e Sonate, Prokofiev aura écrit ses pages les plus folles pour le clavier, impossible de faire tenir dans la mesure tous les accidents qu’il y comprime, et en plus il faut faire sonner quelques explosions de bombes. Severin von Eckardstein y parvient, serrant tout dans un climat de cauchemar cubiste, avant de faire danser la marche d’opérette de l’Allegretto et d’en distiller l’épisode central avec un peu de poison dans les timbres.

Son Prokofiev est maléfique, terrifiant, fascinant, et même la toccata du Precipitato de la 7e Sonate devient monstrueuse. Partout, la virtuosité cruelle de son jeu au moins à vingt doigts saisit l’audition. Comprendre à ce point toutes les ambigüités qui parcourent ces sonates de guerre, jusqu’à rendre le Tempo di valzer de la 6e ou l’Andante caloroso de la 7e juste méphitiques comme il faut, est une gageure dont il ne fait qu’une bouchée : depuis sa légendaire interprétation du 2e Concerto au Concours Reine Elisabeth, il est chez lui chez Prokofiev.

Du reste, il avait déjà enregistré la 8e Sonate (MDG), il la retrouve d’un geste plus apaisé, qui culmine après le vaste voyage harmonique de l’Andante dolce (et vraiment dolce, de timbres, de phrasés) dans un Andante rêvé, ballet immobile où Roméo et Juliette invitent leurs immatériels entrechats.

Disque prodigieux, qui aurait pu être mieux enregistré, mais que cela ne vous détourne pas.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano No. 6 en la majeur, Op. 82
Sonate pour piano No. 7 en si bémol majeur, Op. 83
Sonate pour piano No. 8 en si bémol majeur, Op. 84

Severin von Eckardstein, piano

Un album du label CAvi-Music 8553034
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Photo à la une : le pianiste Severin von Eckardstein – Photo : © Edouard Brane