Tragédie babylonienne

Un voyage au Royaume de Siam en mission avec le Père Tachard (épisode immortalisé par Voltaire dans son Destouches à Siam), un engagement dans l’armée du Roi, le siège de Namur, et dans la musique militaire soudain la révélation de son destin, le jeune Destouches, à la vie jusque-là aventureuse, sera compositeur, André Campra son maître, la Tragédie Lyrique son nouveau champ de bataille.

Au soir de sa vie, Louis XIV entend Issé, premier ouvrage lyrique de celui qui, aux côtés de Colin de Blamont, aura pris la charge laissée par Campra : surintendant de la musique du Roi. Le monarque goûte la pastorale, avoue que les talents de compositeur de Destouches lui évoquent ceux de Lully.

Sept ouvrages lyriques suivront, Sémiramis fermant cette théorie de tragédies lyriques brillantes, pleines d’effet, où Destouches se souvenant des leçons de Campra, ose renouveler le genre par l’ampleur de l’orchestre et la puissance dramatique des scènes. Callirhoé marquera le sommet de cette nouvelle manière, l’ouvrage suscitant une admiration frôlant l’hystérie. Le sujet plus sombre de Sémiramis, reine incestueuse, le livret aux arrière-plans psychologiques complexes de Pierre-Charles Roy, le rôle si poignant de la reine de Babylone écrit pour le grand dessus de Marie Antier ne suffirent pas pour garantir à cet opéra au sombre flamboiement le succès qui entourait encore Callirhoé.

C’est que Destouches, prenant le contrepied du goût de la Régence, qui voulait des ouvrages légers, renouait ici avec le grand style de Lully, et avouait son goût pour l’opéra à grands effets – tremblement de terre et foudre vengeresse abondent au long des cinq actes – qu’il mariait avec une justesse psychologique dans l’incarnation des personnages en avance sur son époque. En cela, il annonce Hippolyte et Aricie de Rameau qui paraîtra quinze ans plus tard.

Les Ombres se dévouent à ce compositeur majeur de l’opéra français, l’ensemble de Sylvain Sartre avait déjà révélé Issé, aura participé aux renaissances de Callirhoé, du Carnaval et la Folie, et enregistré l’admirable cantate Sémélé. Avec sa vaillante troupe, ils font flamboyer ce drame sombre si puissant.

Eléonore Pancrazi met son grand soprano à Sémiramis, qu’elle incarne avec ardeur dès « Pompeux attrait » ; il fallait une tragédienne pour incarner la reine de Babylone, elle l’a trouvée. Mathis Vidal incarne les tourments d’Arsane sans craindre la tessiture exposée qui faisait la renommée de Cochereau, Emmanuelle de Negri donne à Amestris la couleur si singulière de ces sopranos lyriques qui dans la tragédie lyrique devaient conjuguer charme et pathétique. Thibault de Damas donne à Zoroastre toute son autorité.

La partition abonde en beautés, et sa fin, sur le simple « Je meurs » de la Reine n’est pas la moins saisissante. Destouches ne reviendra plus au grand style de la tragédie lyrique, Les Eléments, dont la composition fut partagée avec Delalande, sacreront le triomphe de l’opéra-ballet dont la cour de Louis XV sera si friand. Savait-il qu’avec Sémiramis, il refermerait l’univers inventé par Lully, laissant à ses successeurs le soin d’en dévoyer les canons et l’esthétique ?

Et si demain Sylvain Sartre et ses amis remontaient le fil du temps, nous révélant Amadis de Grèce, Omphale, Télémaque et Calypso, Marpesia, première reine des Amazones ?

LE DISQUE DU JOUR

André Cardinal Destouches (1672-1749)
Sémiramis

Eléonore Pancrazi,
mezzo-soprano (Sémiramis)
Mathias Vidal, ténor (Arsane)
Emmanuelle de Negri, soprano (Amestris)
Thibault de Damas, baryton-basse (Zoroastre)
David Witczak, baryton (L’Oracle, L’Ordonnateur des jeux funèbres)
Judith Fa, soprano (Une Babylonienne, Une prêtresse)
Clément Debieuvre, ténor (Un Babylonien, Un génie)

Chœur du Concert Spirituel
Les Ombres
Sylvain Sartre, direction

Un album de 2 CD du label Château de Versailles Spectacles CVS038
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Photo à la une : la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi – Photo : © DR