Le violon du Diable

Stravinsky et Ramuz en firent l’objet d’échanges entre Le Diable et Le Soldat dans leur histoire vaudoise, métaphore de l’âme. Mais le compositeur lui fera parfois jouer le rôle de L’Ange, l’épurant tout au long d’Apollon musagète. Cette ambigüité se retrouve dans la façon dont Thomas Albertus Irnberger met une touche sardonique à la Toccata finale, qu’il joue en appuyant l’archet dans les rythmes que lui aiguise la direction abrasive de Doron Solomon, alors qu’il met une grâce singulière, presque une tendresse aux deux Arias. Le mordant et le coulé, la fantaisie machiavélique, et l’épure minimaliste des lignes claires, quel diable ce violoniste, qui semble peu à peu, après avoir parcouru le répertoire classique, visiter l’œuvre du XXe siècle.

La virtuosité déboutonnée, l’humour très fin que son archet rieur met à la Suite italienne fait paraître dans les accents, les envols, le modèle de Pergolèse – la Suite est tirée pour Samuel Dushkin, déjà commanditaire du Concerto, du ballet Pulcinella – et trouve dans le piano disert de Pavel Kašpar un allié impeccable qui l’emportera dans les deux pièces brèves jouées en grand caractère, placées comme deux respirations avant les roideurs néo-classiques du Duo Concertant, une toute autre musique, pastorale stylisée inspirée par Virgile, où Stravinsky pare le violon de sonorités étranges.

Coda ailleurs, avec la subtile poésie emplie de musiques populaires de la Fantaisie de concert sur des thèmes russes de Rimsky-Korsakov où soudain le violon du jeune homme semble s’être échappé de Shéhérazade, musardant dans les thèmes d’un folklore imaginaire. Pourquoi cette œuvre raffinée n’est-elle pas plus présente au répertoire de charme et de virtuosité des violonistes ?

Espérons demain que Thomas Albertus Irnbeger poursuive dans l’œuvre du XXe siècle : Bartók, Prokofiev, Vladiguerov et Berg espèrent son violon inspiré.

LE DISQUE DU JOUR

Igor Stravinsky
(1882-1971)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur
Suite italienne
(version pour violon et piano)

Danse russe
(No. 1, extrait des « 3 Mouvements de Petrouchka » – arrangement : Igor Stravinski & Samuel Dushkin)

Chanson de la jeune fille russe (extrait de « Mavra » – arrangement : Igor Stravinski & Samuel Dushkin)
Duo Concertant
Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Fantaisie de concert en si mineur sur des thèmes russes, Op. 33

Thomas Albertus Irnberger, violon
Pavel Kašpar, piano
ORF Radio-Symphonieorchester
Doron Salomon, direction

Un album du label Gramola 99204
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Photo à la une : le violoniste Thomas Albertus Irnberger – Photo : © Irene Zandel