Quatrième de poche

Quel contraste entre les touches tendres de l’aquarelliste Webern qui caresse de son pinceau la Schatz-Walzer et la débauche d’or dont Arnold Schönberg pare la Kaizer-Walzer, cette mise en regard dit assez qu’au sein même de cette doxa de la Seconde École de Vienne, jusqu’aux exercices les plus pratiques (et parfois alimentaires) démasquaient des personnalités en tous points opposées.

Renaud Capuçon et ses amis mettent beaucoup d’hédonisme à ces mises en bouche, et plus encore dans la fluide Quatrième Symphonie de Mahler qu’Erwin Stein a réduit pour onze solistes et une voix, arrangement qui connaît une belle fortune au disque, mais n’aura jamais rencontré des interprètes aussi subtils, des virtuoses aussi musiciens qui assemblent leur fabuleux concert aux nuances infinies autour du piano d’Herbert Schuch et capturent l’essence même de l’œuvre, si bien que vous n’aurez pas à chercher ailleurs, d’autant que pour le mouvement final, Christiane Karg est désarmante de pureté et de fantaisie à la fois.

Mahler lui va décidément bien, dont elle grave aujourd’hui, soit huit ans plus tard, un plein album de Lieder avec le piano poète de Malcolm Martineau. Evidemment, les Lieder de jeunesse lui vont comme un gant, la trouvant conteuse enjouée, délicieusement mutine (cette Rheinlegendchen), l’esprit populaire du Knaben Wunderhorn s’élevant à des raffinements que seule Elisabeth Schwarzkopf y avait osés, comparez seulement leurs versions de Verlor’ne Müh’ !

Je suis plus surpris de la voir se mesurer aux Rückert-Lieder, chasse gardée des mezzos, mais elle parvient comme jadis Christine Schäfer, à y glisser son timbre, chargeant les mots au-delà de ce que sa voix lui permet.

Coda surprenante : Das himmlische Leben qu’elle chantait hier avec les solistes réunis au Festival de Salzbourg est cette fois-ci enclose dans le seul piano, mais c’est Mahler qui joue, la soprano ayant calé son chant sur le déroulement du Welte Mignon, effet étrange, assez séduisant, au même titre qu’Ich ging mit Lust réalisé avec les mêmes procédés.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 4
(arr. Erwin Stein)

Johann Strauss fils
(1825-1899)
Kaiser-Walzer, Op. 437
(arr. Webern)

Schatz-Walzer, Op. 418
(arr. Schönberg)

Christiane Karg, soprano
Renaud Capuçon, Katja Lämmermann, violons
Antoine Tamestit, alto
Clemens Hagen, violoncelle
Alois Posch, contrebasse
Magali Mosnier, flûte
Sebastian Manz, clarinette
Albrecht Mayer, hautbois
Herbert Schuch, piano
Gereon Kleiner, harmonium
Leonhard Schmidinger, Martin Grubinger, percussions

Un album du label Orfeo C925161B
Acheter l’album sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr

Gustav Mahler (1860-1911)
Des Knaben Wunderhorn (extraits : VII. Rheinlegendchen, IV. Wer hat dies Liedlein erdacht?, II. Verlor’ne Müh, VI. Des Antonius von Padua Fischpredigt, V. Das irdische Leben, IX. Wo die schönen Trompeten blasen)
Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit (extraits : III. Hans und Grete, II. Erinnerung, V. Phantasie, XIII. Nicht wiedersehen!, VII. Ich ging mit Lust durch einen grünen Wald)
Rückert-Lieder
Ablösung im Sommer
Scheiden und Meiden
Das irdische Leben
Das himmlische Leben

Christiane Karg, soprano
Malcolm Martineau, piano
Gustav Mahler, piano (Welte-Mignon Piano Rolls)

Un album du label harmonia mundi HMM905336
Acheter l’album sur le site du label harmonia mundi ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : la soprano Christiane Karg – Photo : © Gisela Schenker