Le Paradis perdu

Ce n’est presque rien et c’est tant. Un jeune homme de vingt-quatre ans, né à Caracas mais plus Parisien que tous les Parisiens, et sachant capturer de sa plume versatile l’esprit français de son temps – entre Fauré et Ravel – se cherche un sujet d’opéra. Massenet le lui trouvera chez Loti, récit exotique un peu Madame Chrysanthème, un peu Gauguin par l’orchestre voluptueux dont il parera les mots de Georges Hartmann et d’André Alexandre, et que lui dirigera Messager pour la première le 28 mars 1898 à l’Opéra-Comique.

Massenet, voyant la partition achevée, dira qu’elle est d’un poète, ce qui est à peu près le plus beau compliment qu’il puisse faire à un collègue, et Le Mariage de Loti n’aurait pu trouver une transcription musicale aussi subtile, où passe non seulement ses personnages, mais aussi les paysages qu’il aura croqué de son crayon si évocateur.

Ce « lever de rideau », commencé par un hymne à Bora-Bora qui impose le décor dans la musique même est si en avance sur son temps, tout Pelléas y est déjà un peu, par la prosodie fluide, et Hahn y conduit par anticipation, avec un faux abandon, à la coda d’un certain idéal de l’opéra français commencé chez Massenet et dont Debussy sanctionnera l’impasse. C’était voir loin, mais le savait-il, lui qui poursuivrait dans la veine lyrique avec des constances si diverses ?

Pour autant de poésie, il fallait d’abord un Loti. Le diseur à la voix longue, aux mots précis qu’est Cyrille Dubois dit tout de cet autre Pinkerton, de la séduction, du plaisir, du remord, Hélène Guilmette savoure le personnage si aventureux de Mahénu, mais tous sont parfaits, et Hervé Niquet le premier, qui voue tout son art au rare, et dispose ici d’un orchestre somptueux qui voluptueusement se soule des harmonies nacrées dont Reynaldo Hahn poudroie sa partition, et quels chœurs !

Sublime édition du Palazzetto, appareil critique éclairant, iconographie choisie, une grande volée d’échanges épistolaires entre Reynaldo Hahn et son ami Edouard Risler qui nous retrempe dans la genèse de l’œuvre. Et demain La Carmélite nous est promise, enfin !

LE DISQUE DU JOUR

Reynaldo Hahn (1874-1947)
L’Île du rêve

Hélène Guilmette (Mahenu)
Cyrille Dubois (Georges de Kerven, dit « Loti »)
Anaïk Morel (Oréna)
Artravazd Sargsyan
(Tsen-Lee, Premier Officier)
Ludivine Gombert
(Téria, Faïmana)
Thomas Dolié (Taïrapa, Henri, Deuxième Officier)

Chœur du Concert Spirituel
Münchner Rundfunkorchester
Hervé Niquet, direction

Un album livre-disque du label Palazzetto Bru Zane BZ1042
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Photo à la une : le compositeur Reynaldo Hahn, à sa table de travail – Photo : © DR