Janus

Les bombes qui déflagrent l’Allegro moderato de la Sixième Sonate veulent un piano d’airain. Vadym Kholodenko ne les assène pas, il les implose ; dans la violence de cette patte de lion qui s’abat, on entend aussi le vide sidéral de l’onde de choc que la prise de son hyperréaliste de Brad Michel saisit avec une sorte d’avidité. Après, le diable ricane un moment.

Évidemment, ce tableau clinique des beautés de la guerre pourrait être le pendant sonore des Orages d’acier d’Ernst Jünger. Kholodenkho rend l’Allegretto au monde du ballet, mais aussi le Tempo di valzer, sans l’ombre d’un blues nicotiné que tant y auront osé : ici, c’est le duo de Roméo et Juliette, on pourrait danser dessus. Finale haut en couleurs, dont le motif obstiné se pare de sarcasmes jusque dans ses échappées.

Mais si la grande sonorité de Kholodenko est taillée pour la Sixième Sonate, ou pour les obsessions des Choses en soi, il faut l’entendre dans le précis poétique, dans le monde onirique des Visions fugitives, et c’est un tout autre pianiste soudain, qui savoure avec une pointe d’ironie les fausses naïvetés, les scriabineries, les démonstrations entre folies et silences du plus insaisissable des cahiers de musique qui ait jamais coulé de la plume de Prokofiev.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano No. 6 en
si mineur, Op. 82 (1939–40)

Choses en soi, Op. 45 (1928)
4 Pièces, Op. 32 (1918)
Visions fugitives, Op. 22 (1915-17)

Vadym Kholodenko, piano

Un album du label harmonia mundi HMM 903659
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Photo à la une : le pianiste Vadym Kholodenko – Photo : © Jean-Baptiste Millot