Myrthes, roses, et cendres

Le plus secret de Schumann n’est pas dans ses Chants de l’aube, opus ultimes où j’ai le sentiment que Caspar David Friedrich est venu écrire les notes avec son pinceau ; non, il est dans les recueils à instruments variables des Märchen, Stücke in Volkston, Fantasiestücke et autres Andante. Des « lieder » avec instruments, de forme libre, de propos plus libres encore, musique pour la chambre, la nuit, pour le jardin, la nuit, musique avec grillons et lune. C’est le plus clair de l’âme si sombre de Schumann qui écrit ici les notes.

J’ai longtemps retenu ma plume avant d’écrire sur le disque de Tabea Zimmermann et de Jörg Widmann, où ils marient leurs instruments dans les Märchenerzählungen, les parant de phrasés magiques, les jouant secrets et fantasques, déployant leurs récits et leurs pas de danse sur le piano paysage de Dénes Várjon, au toucher d’ondiste. Quelle merveille de poésie, d’invention, qui se retrouve dans les pièces très Weber des FantasiestückeJörg Widmann met une fantaisie rêveuse alors que l’alto de Tabea Zimmermann brosse avec un grand caractère les Märchenbilder.

Le disque se referme par les étonnantes cinq pièces d’Es war einmal… où la plume de Jörg Widmann fait divaguer l’esprit des contes schumanniens dans un cadre très Sécession Viennoise, coda nocturne d’une inquiétante poésie pour un album iréel.

C’est toutes les pièces pour violoncelle et piano, y compris les Fantasiestücke, Op. 73, qu’Isang Enders réunit, les contrepointant avec deux pages d’Isang Yun belles comme des questions sans réponse.

Son archet dit avec une pointe d’humour les petites histoires des Fünf Stücke in Volkston que je n’avais pas entendu aussi caractérisées depuis le beau microsillon Erato de Frédéric Lodéon, le piano svelte d’Andreas Hering mettant des ailes à ces pages savoureuses où Schumann s’invente un folklore imaginaire.

L’Adagio und Allegro perd son caractère concertant pour devenir une confidence suivi d’un envoi alerte, fusant, qui rappelle quel virtuose sait être ce poète d’Isang Enders (et pour l’intimité du chant, le quasi murmure, écoutez la berceuse du Langsam de l’Opus 102, impondérable)… On ne sait pas qui a transcrit pour le violoncelle l’Andante cantabile du Quatuor avec piano en mi bémol majeur publié à Leipzig en 1866, mais quelle merveille !

Lorsque paraissent les ténèbres lyriques du Zart des Fantasisestücke, Op. 73, l’archet du jeune homme se fait barde, rappelant que le timbre de voix humaine du violoncelle va plus loin encore dans le ton de lieder des trois pièces que ne le peut la clarinette.

Disque beau, énigmatique, crépusculaire, inespéré de poésie venant d’un si jeune instrumentiste : ses perfections l’ont placé au sommet des violoncellistes de sa génération, tout aux côtéw de Nicolas Altstaedt.

LE DISQUE DU JOUR

« Es war einmal … »

Robert Schumann
(1810-1856)
Märchenerzählungen, Op. 132
Fantasiestücke, Op. 73
Märchenbilder, Op. 113
Jörg Widmann (né en 1973)
Es war einmal… –
5 Stücke im Märchenton (2015)

Tabea Zimmermann, alto
Jörg Widmann, clarinette
Dénes Várjon, piano
Un album du label Myrios Classics MYR020
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« Mit Myrten und
Rosen »

Robert Schumann
Adagio and Allegro, Op. 70
5 Stücke im Volkston, Op. 102
Märchenbilder, Op. 113
Fantasiestücke, Op. 73
Isang Yun (1917-1995)
Espace 1
Nore

Isang Enders, violoncelle
Andreas Hering, piano
Un album du label Berlin Classics 0300430BC
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Photo à la une : l’altiste Tabea Zimmermann – Photo : © Marco Borggreve