Andrea Lucchesini fait venir de très loin la rumeur qui ouvre l’ultime Sonate. Son trille de basse ourle un paysage nocturne si beau dans les timbres profonds du Steinway de la Salle Leibniz d’Hanovre qu’il en oublie tout tragique. Le fil se dénoue, quelques accords, quelques accents le plient ça et là, le premier grand crescendo ne le distendra pourtant pas.

Voici tant d’années que le pianiste italien fréquente Schubert qu’il ne peut y être que pur naturel. Tout chante dans une réserve cependant, qui empêche l’hédonisme, et plus encore le narcissisme.

C’est le temps schubertien, cette donnée si spécifique, ce temps immobile et immense, qui s’incarne dans ce piano fluide, sans maniérisme, et par un toucher plus classique que romantique. Les apartés, tour à tour poétiques ou véhémentes, qui assurent la dramaturgie du Molto moderato, ne sont jamais des séquences comme chez tant d’autres, mais participent d’un tout. L’Andante ne sera pas ce paysage de demi-lune où Lazar Berman faisait entendre un songe de barcarolle (merveille inoubliable), mais plutôt ici une berceuse mélancolique, un lied.

Scherzo et Allegro final baignés d’un soleil distant, modelés dans un clavier vif qui se contient pourtant : toujours cette volonté de ne pas abdiquer un certain classicisme qui donne au jeu de Lucchesini ce style si impeccable.

Il perdurera tout au long des Klavierstücke qui n’oublient pas une reprise, donnant de l’ampleur aux accents de tempête de l’Allegro assai, retenant le lied délicat de l’Allegretto dans des résilles de sons immatériels, joué comme en songe. L’Allegro s’envolera, léger, fusant, pur caprice sans aucune des duretés, du ton fantasque qu’on y ose souvent, classique jusque dans le chant apaisé de la pastorale dorée du trio de ce qui est en fait un scherzo. Et soudain je me dis qu’à ces Klavierstücke ne manque plus qu’un final pour les faire sonate.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schubert (1797-1828)
Œuvres tardives, Vol. 2

Sonate pour piano No. 21 en si bémol majeur, D. 960
3 Klavierstücke, D. 946

Andrea Lucchesini, piano

Un album du label Audite 97.766
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Photo à la une : le pianiste Andrea Lucchesini – Photo : © DR