Le monde d’Isolde

Lorin Maazel finit par l’oser : Júlia Várady voudrait-elle chanter Isolde dans le Tristan qu’il s’apprêtait à diriger ? Trop tard, la soprano venait de quitter abruptement le monde de la scène. Ce coup manqué était la coda d’une longue série d’atermoiements, elle avait pensé à Kundry, puis non, Elsa pour Dohnányi, Elizabeth une seule fois au concert et finissant par céder aux prières charmeuses de Sir Georg Solti, mais en 1970, Wolfgang Sawallisch lui avait offert Eva (et Fischer-Dieskau était son Hans Sachs !) , avant cela Siegrune, juste assez pour lui donner l’envie d’être Sieglinde

Les années passant, il y eut tout de même Senta, et quelle !, une Senta latine, tout en lumière jusque dans les ombres. Le temps était venu enfin d’aborder les héroïnes plus sombres, Sieglinde, Brünnhilde, Isolde surtout, eut-elle chanté Kundry, elle y serait venue sans autres détours. Mais non.

Des années de jeunesse lui revenait le souvenir d’avoir étudié et chanté éperdument, au Conservatoire de Cluj, les Wesendonck-Lieder. Son baryton de mari, lui proposant d’enregistrer pour Orfeo en juin 1983 tout un disque Wagner, voulait l’ouvrir avec ce souvenir, et les Wesendonck n’étaient-ils pas déjà comme des fragments d’Isolde, dont elle risquerait aux mêmes sessions le périlleux Mild und Leise ?

L’ambre de la voix, les drapés du timbre, les mots qui flottent ou flamboient, et l’orchestre de parfums que Mottl a réglé sur les quatre premiers Lieder, tout cela s’entend dans des voluptés vénéneuses dont Várady et Fischer-Dieskau débordent le recueil, grande musique de chambre qui réinvente un cycle apanage des cantatrices, la soprano les voyant d’abord en liedersängerin (et Fischer-Dieskau acquiesçant naturellement).

Mais c’est Isolde qui envahit Traüme d’une présence éperdue, avec la sensualité du désespoir. Sublime, comme la Mort d’Isolde, hallucination émergée d’un rêve, où sur toute l’ampleur de la tessiture, la voix s’émancipe du moindre soutien pour n’être qu’ascension.

Alors, la grande scène finale du Crépuscule pourra faire tonner son sacrifice et proclamer ses vérités, et oui vous pleurerez d’avoir perdu à jamais cette Isolde, cette Brünnhilde restées dans les limbes.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Wagner (1813-1883)
5 Gedichte für eine Frauenstimme, WWV 91 « Wesendonck-Lieder » (version pour orchestre : Félix Mottl et Richard Wagner)
Tristan und Isolde, WWV 90 (2 extraits : Prélude de l’Acte I, Isoldes Liebestod)
Götterdämmerung, WWV 86d (2 extraits : Siegfrieds Rheinfahrt, Brünnhildes Schlussgesang)

Júlia Várady, soprano
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Dietrich Fischer-Dieskau, direction

Un album du label Orfeo C467981A
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Photo à la une : la soprano Júlia Várady et le baryton Dietrich Fischer-Dieskau – Photo : © DR