Debussy, cet inconnu

Robert Orledge s’est immergé dans les manuscrits de Debussy, collationnant des feuilles éparses, retrouvant des versions originales d’œuvres mieux connues dans leurs rédaction finales, dévoilant des esquisses inédites ou des versions d’œuvres orchestrales ou lyriques que Debussy nota au piano, pour le strict usage de son atelier de musique, Nicolas Horvath a choisi d’en tirer un disque plein à ras bord (quasi quatre-vingt-cinq minutes de musique), où l’émotion l’emporte sur la découverte.

Il faut dire qu’il joue ici un magique Steinway de 1926 (le numéro 248200), où la magie des rouleaux laissés par Debussy semble se réincarner, clavier sans marteau, piano d’onde.

Six préludes oubliés ouvrent l’album, des versions pour piano de passages de L’Enfant prodigue, de Rodrigue et Chimène, un Prélude à « L’Histoire de Tristan » abandonné, partition majeure pleine d’effets de cloches et de sonneries lointaines, les premières pages de La Fille aux cheveux de lin dans des harmonies différentes, une stupéfiante première version de Bruyères. Avec le Toomai des éléphants, c’est l’ultime Debussy qui paraît, abstrait, étrange, mystérieux : six minutes-trente d’une musique fascinante qui prouve que, rongé par le cancer, il s’échappait dans l’imaginaire du Livre de la jungle ou dans celui de Watteau : quelles étranges pages coulent de sa plume en 1915 pour incarner les Masques de ses Fêtes galantes.

Tout ici nous introduit dans la psyché du compositeur, au plus secret de son art, jusqu’aux rares mélodrames dont l’existence n’était connue que des plus fervents debussystes. Florient Azoulay rejoignant Nicolas Horvath pour dire les narrations du ballet chinois No-Ja-lie (Le Palais du silence, 1914, autre projet empêché par la maladie) ou celles plus attendues d’Un jour affreux avec le diable dans le beffroi où semble passer Ce qu’a vu le vent d’Ouest, écho de la fascination de Debussy pour l’univers d’Edgar Allan Poe dont il illustra une autre des Histoires extraordinaires avec les accents désolés, le piano tour à tour panique ou mystérieux avec lequel il dépeint A Night in the House of Usher.

L’ajout de toutes ces pièces qui augmentent considérablement le catalogue pianistique de Debussy, et éclairent par nombre d’entre elles son ultime période créatrice, fait un voyage musical saisissant, quel bonheur qu’il ait trouvé un musicologue aussi averti que Robert Orledge, un pianiste si inspiré et un piano si troublant.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy
(1862-1918)
The Unknown Debussy
(Rare Piano Music)

Arrangements par Robert Orledge

L’enfant prodigue, L. 57 (extrait : I. Prélude)
Rodrigue et Chimène, L. 72 (extrait : Prélude)
Préludes, Livre I, L. 117 (extrait : No. 8, La fille aux cheveux de lin, version 1907)
Prélude à « L’histoire de Tristan »
Préludes, Livre II, L. 123 (extrait : No. 5, Bruyères, version 1912)
Toomai des éléphants
Petite valse
Fêtes galantes, Tableau 1 « Les masques » (extraits)
Le Martyre de Saint-Sébastien, L. 124 (extrait : III. Le concile des faux dieux)
Le palais du silence, L. 130 (extrait)
Le roi Lear, L. 107) (3 extraits complétés et arrangés : Prélude, Fanfare d’ouverture, La mort de Cordélia ; 1 extrait arrangé : II. Le sommeil de Lear)
Un jour affreux avec le diable dans le beffroi
A Night in the House of Usher (d’après Debussy’s, L. 112)

Nicolas Horvath, piano
Florient Azoulay, narrateur (Le palais du silence, Un jour affreux avec le diable dans le beffroi)

Un album du label Grand Piano Records GP822
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Photo à la une : © DR