Les mânes de Beethoven

On ne le sait pas assez, mais au début de ce siècle, Andrea Lucchesini grava pour un label italien l’une des plus radicales intégrales des Sonates de Beethoven jamais enregistrée. Le coffret n’a jamais franchi les Alpes, fut vite épuisé, et semble ne pas vouloir être réédité.

Revenant à Schubert qu’il jouait déjà jeune homme, il l’entend et nous fait l’entendre face à Beethoven, c’est-à-dire à l’absolue même hauteur de génie, et partageant la même syntaxe péremptoire, violente, définitive : l’Allegro de la grande Sonate en la majeur proclame dans ses accords impérieux qu’elle pourrait être l’autre Hammerklavier, ce que Lucchesini confirme, gourmant son jeu, tendant les lignes, abrasant l’harmonie, refusant les sfumatos, fouettant les rythmes.

Une telle hauteur de vue, une telle essentialisation du discours s’était perdue ici depuis Arrau, Serkin ou Foldes qui eux aussi ne remarquaient pas les beaux paysages montrés par Brendel ou Lupu. Non, pour Lucchesini comme pour ses pères, tout est dans le verbe de cette musique, lied immense qui parle et ne décrit pas.

Ce sera une épreuve pour certains que de se confronter à une façon si radicale, mais les écarts abyssaux de la D. 959 l’exigent en quelque sorte pour peu qu’on s’immerge dans le cœur noir de l’œuvre, cet Andantino où le fantôme d’un Leiermann voit fondre sur lui une tempête.

Le couplage avec la petite Sonate en la mineur est éclairant, Schubert reprendra le thème central de l’Allegretto dans le Finale de la D. 959, Lucchesini apparente les deux partitions en donnant à l’opus le plus ancien les presciences des déploiements dramatiques des ultimes sonates, lecture fascinante que commente, en quelque sorte ajouté en appendice, le chant d’un autre Leiermann, consolateur celui-là et inquiet pourtant, qui transforme le clavier de l’Allegretto en ut mineur en une vielle mystérieuse.

Premier volume des dernières œuvres pour le piano, annonce l’éditeur. Vite, la suite !

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schubert (1797-1828)
Late Piano Works, Vol. 1

Sonate pour piano No. 20 en la majeur, D. 959
Sonate pour piano No. 4 en la mineur, D. 537
Allegretto en ut mineur, D. 915

Andrea Lucchesini, piano

Un album du label Audite 97765
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Photo à la une : le pianiste Andrea Lucchesini – Photo : © DR