Pour l’amour de Drago

Au cours des années cinquante, Decca posa ses micros à l’opéra de Belgrade. Objet, y saisir d’abord le Boris et le Dosifei de Miroslav Čangalović et réaliser une série d’enregistrements d’opéras russes par une troupe les ayant naturellement à son répertoire.

Cette série souvent décriée restait à dormir dans les archives, Decca Eloquence l’édite pour la première fois en CD et permet de la réévaluer. Si Boris Godounov et La Khovanchtchina sont restés dans la mémoire des discophiles, en réécoutant toute la série, je suis tombé sur un diamant : l’Eugene Onegin enregistré en septembre 1955 par Roy Wallace dans une captation stéréophonique, si naturelle et chaleureuse.

Eugene Onegin, que Tchaïkovski composa tout d’abord dans l’esprit d’un opéra pour un petit théâtre, veut une certaine intimité, et un tempo filant : c’est le secret de cette version d’un naturel absolu, emportée par la battue souple et preste du merveilleux Oskar Danon, chef trop méconnu qui nous emmène au cœur de l’œuvre que détaille une troupe de chant parfaite.

Čangalović y est évidement le Prince Grémine, admirable de ligne, basse claire comme on n’en avait guère dans le répertoire russe alors, ce qui fait tout son sel, mais l’Onegin sans façon, mordant, amère de Dušan Popović, quelle incarnation et l’Olga de Biserka Cvejić, la Filipievna de Melanija Bugarinović !

Le ténor Drago Starc – Photo : © DR

Pourtant, il y a mieux encore. Qui se souvient de Valeria Heybal, Tatiana juvénile qui rafraîchit la scène de la lettre d’un souffle irrésistible. Qui surtout a encore en mémoire Drago Starc, ténor lyrique admirable de beau chant, d’élégance et dont les moyens considérables en feront un grand Sadko (il enregistra le rôle à l’opéra de Zagreb pour Philips, version jamais reparue en CD).

Ne barguignons pas, son Lenski peut regarder droit dans les yeux ceux de Lemeshev et Kozlovsky, quel dommage que l’opéra de Belgrade ne lui ait pas fait tenter l’Hermann de La Dame de pique, il en avait déjà les moyens, mais du moins son Lenski si poète, si bien entouré ici, nous est conservé, il peut chanter tout haut son air impérissable.

LE DISQUE DU JOUR

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Eugene Onegin, Op. 24, TH 5

Dušan Popović, baryton (Eugène Onéguine)
Valeria Heybal, soprano (Tatiana)
Drago Starc, ténor (Lenski)
Biserka Cvejić, mezzo-soprano (Olga)
Melanija Bugarinović, contralto (Filipievna)
Mira Verčević, mezzo-soprano (Larina)
Miroslav Čangalović, basse (Prince Grémine)
Stepan Andrashevich, ténor (Triquet)
Aleksandar Veselinović, baryton (Trifon Petrovitch)
Ilija Gligoriević, basse (Zaretski)

Chœur & Orchestre du Théâtre National de Belgrade
Oskar Danon, direction

Un album de 2 CD du label Decca 4826944 (Collection « Eloquence Australia »)
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Photo à la une : le chef d’orchestre Oskar Danon, en 1961 – Photo : © DR