Le magicien parle

Le peu que Debussy pianiste nous aura laissé – rouleaux de piano mécanique ou enregistrements – dit assez sur l’onirisme et la sensualité de son toucher, comme la relative liberté qu’il prenait avec ses textes, après tout l’auteur a tous les droits sur sa création. Personne n’aura retrouvé sa manière si singulière, mais par pure divination, Walter Gieseking l’aura approchée.

Dans les années trente, il assembla une anthologie couvrant l’essentiel du piano de Debussy, son toucher si immatériel – plus un marteau dans ce clavier d’ondes – étant mieux capté par la gravure directe qu’il ne le sera jamais par la bande magnétique. Oui, mais voilà, encore faut-il pour retrouver les magies sonores qu’il distillait alors, lire ses 78 tours d’une façon adéquate : le mystère est une chose fragile qu’une mauvaise pointe peut saccager.

Yves Saint Laurent a du prendre des semaines pour obtenir une lecture aussi parfaite des deux Livres des Préludes. Le Premier Livre, enregistré à Berlin le 10 août 1938Columbia y ajouta La Cathédrale engloutie captée à Londres en 1936, Gieseking la jugeant impeccable, ne voulant pas prendre le risque de la refaire, elle l’est ! – repousse le piano de Debussy aux limites du silence, incroyable science des pianissimos jusqu’à ce que ne se hérisse la vague terrible de Ce qu’a vu le vent d’Ouest où piaille des harpies. Quel naturalisme saisissant pour cette tempête de verre. Fascinant.

L’année suivante, Gieseking est à New York pour graver encore en un seul jour, le 14 avril 1939, le Second Livre. Le piano est tout autre, probablement un Steinway au medium plus plein qui fragmente l’irisation de Brouillards, éclaire la nuit gitane de La Puerta del Vino, Gieseking le caresse, allège son clavier, transforme son grand corps harmonique en une étoffe voluptueuse qui creuse l’espace à force de parfums et de sfumato. Quel art ! qui culmine dans Ondine, tentatrice, déconcertante, ou dans la désolation silencieuse de Canope.

Miracle, ce piano magicien retrouve ici toutes ses subtilités, ses mystères, célébrant l’essence même de la révolution debussyste. Il vous faut connaître ces enregistrements fondateurs dans ce repiquage impeccable, qui surclasse tous les autres. Et maintenant Yves Saint Laurent, les autres gravures Debussy de Walter Gieseking pour le 78 tours !

LE DISQUE DU JOUR

Edition Walter Gieseking
Vol. 2

Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 125
Préludes, Livre II, L. 131

Walter Gieseking, piano

Un album du label St-Laurent Studio YSL26678
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Photo à la une : Le pianiste Walter Gieseking – Photo : © DR