Du sublime

Quelle injustice : tout l’héritage discographique mahlérien d’Eduard van Beinum tient en deux compact disc ! Des enregistrements en concert y auront ajouté les Sixième et Septième Symphonies captées dans des conditions sonores assez aléatoires, mais toutes les subtilités dont il était capable dans cet univers se sont heureusement sublimées dans un Chant de la Terre immortel.

Ses solistes – Ernst Haefliger qui ose s’enflammer ici, et Nan Merriman, la poésie même – referont ce Lied von der Erde pour la stéréophonie et avec le même orchestre, cette fois sous la direction d’Eugen Jochum, lecture âpre qui semblait vouloir prendre le contre-pied du geste si émouvant de Van Beinum.

Dans les soieries du Concertgebouw, celui-ci exhausse la lyrique mahlérienne, lui donne un souffle infini, modèle le quatuor comme une voie lactée, interprétation de pure magie qui réussit dans l’Abschied à suspendre absolument le temps : ses musiques nocturnes de mandoline et de lune sont hypnotiques, on n’en avait jamais aussi bien perçu la finesse d’alliage, l’élégance des dessins qu’à l’occasion de ce nouveau repiquage qui rend enfin palpable l’espace du Concertgebouw.

Impossible de ne pas écouter ce Lied von der Erde en boucle, tout comme la 4e Symphonie melliflue, vraie randonnée alpestre que les musiciens du Concertgebouw enivrent d’un grand soleil. Elle fut longtemps fêtée avant que la stéréophonie n’apporte les songes noirs dévoilés par Otto Klemperer ou Fritz Reiner, on en retrouve l’estive heureuse, sans un nuage, le grand horizon méditatif du Ruhevoll, le verger mutin du Finale, tous enfin dans leurs vraies couleurs.

Deux versions des Lieder eines fahrenden Gesellen très différentes – Eugenia Zareska à Londres pour le 78 tours, mesurée et quasi schubertienne, là où Nan Merriman à Amsterdam et dans le confort de l’enregistrement magnétique, cède à son tempérament dramatique – complètent ce trop bref ensemble : de quoi pleurer éternellement ces Rückert-Lieder, ces Kindertotenlieder, cette Neuvième Symphonie que nous n’aurons jamais.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Das Lied von der Erde
Symphonie No. 4
Lieder eines fahrenden Gesellen (2 versions)

Margaret Ritchie, soprano (Symphonie No. 4)
Eugenia Zareska, mezzo-soprano
Nan Merriman, contralto
Ernst Haefliger, ténor
London Philharmonic Orchestra
Concertgebouworkest
Eduard van Beinum, direction

Un album de 2 CD du label Decca 4828147 (Collection Eloquence Australia)
Acheter l’album sur le site de la collection Eloquence Australia, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : Le chef d’orchestre Eduard van Beinum – Photo : © DR