Mezzo nocturne

On oublie trop une des facettes de la personnalité d’Irma Kolassi : sa dévotion pour la musique du XXe siècle. Côté mélodie française, elle participa parmi un groupe de chanteurs choisis (Gérard Souzay, Geneviève Touraine, Bernard Kruysen) à la défense et à l’illustration de l’œuvre de Jacques Leguerney, mais elle fut aussi pour Stravinski la Jocaste d’Oedipus Rex, et rien moins que la créatrice française des Altenberglieder d’Alban Berg.

On connaissait déjà son interprétation crépusculaire par une bande de la BBCRudolf Schwarz l’accompagnait lors d’un concert en 1961, lecture parfaite mais un rien objective. Voici qu’enfin la bande de la création parisienne est révélée. C’est Jascha Horenstein qui la dirige ! Un bergien d’une telle importance, ardent défenseur de Wozzeck, l’engage immédiatement dans un autre univers, grand nocturne d’orchestre en cinq brefs volets, où les moirures somptueuses de son timbre, son aigu aux teintes de lune de sang – elle est mezzo, mais son ambitus était faramineux -, les mots désespérés et magiques, tout concourt à faire de cette interprétation mystérieuse la plus belle de ce cahier trop peu couru, à égalité avec celle de Margaret Price et Claudio Abbado.

L’éditeur ajoute un repiquage exemplaire du fameux microsillon Schönberg enregistré pour Vox avec l’Orchestre de la Südwestfunk. Cette Verklärte Nacht transformé en une immense coda de Tristan et IsoldeGeorges Sébastian fera de même avec le Gewandhaus de Leipzig quelques années plus tard, il révérait la gravure d’Horenstein – est inoubliable, fascinante par le travail sur la masse polyphonique de l’orchestre à cordes, empli de phrasés espressivo que plus personne n’aura osé.

Jascha Horenstein dit autant «je » dans une lecture poétique et hautement narrative de la Kammersymphonie No. 1, les solistes du Südwestfunk créant tout un univers sonore où l’on croit voir les ors d’un Klimt. J’aimerais pourtant retrouver l’enregistrement qu’il en effectua pour la Radio Danoise, jadis paru en microsillon sous étiquette Unicorn[-Kanchana].

Ce disque d’une sombre splendeur est indispensable à tous les amoureux de la Seconde Ecole de Vienne.

LE DISQUE DU JOUR

Alban Berg (1885-1935)
5 Orchesterlieder, Op. 4 „Altenberglieder“ (premier enregistrement mondial)
Arnold Schönberg (1874-1951)
Verklärte Nacht, Op. 4
Kammersymphonie No. 1,
Op. 9

Irma Kolassi, mezzo-soprano
Orchestre National de la R. T. F
Südwestfunk Orchester Baden-Baden
Jascha Horenstein, direction
(Enregistrements réalisés en 1953 ety 1957)

Un album du label Pristine Audio PASC445
Acheter l’album sur le site du label www.pristineclassical.com

Photo à la une : La chanteuse Irma Kolassi – Photo : © DR