Raretés mahlériennes

Arnold Schoenberg dirigeant l’Andante de la Résurrection de Gustav Mahler, le seul modèle qu’il eut jamais ? Mais oui, cela existe. Et a même été enregistré : Schoenberg le dirige en Viennois ciselant le ländler, aiguisant les timbres de son quatuor, fruitant l’ensemble d’un caractère ombrageux, c’est assez magnifique pour l’inspiration comme pour le style, et tout à fait romantique dans le jeu de rubato particulièrement savant où se fait entendre toute une certaine tradition qui n’est jamais un ramassis de facilités, mais bien un style qui s’exhausse malgré l’orchestre de solistes américains assemblés pour l’occasion. Quel dommage que l’enregistrement, capté sur le vif, soit un rien gâché par la tourne du 78 tours qui aura servi à la gravure, on perd quelques secondes de musique, mais lorsque paraît le déchaînement en mode mineur, quelle angoisse, quelle émotion !

Si ce document est rarissime, Mark Obert-Thorn en propose un second tout aussi difficile d’accès. J’ai longtemps cherché en vain un exemplaire complet de l’album 78 tours Telefunken de la 4e Symphonie de Gustav Mahler enregistrée par Paul van Kempen et l’Orchestre Philharmonique de la Radio d’Hilversum, je n’ai pu en trouver que quelques disques dépareillés et dans un état effroyable. Mark Obert-Thorn lui aussi n’a pu retrouver les 78 tours, son repiquage part d’une copie qui offre un seul désavantage : d’importantes fluctuations dynamiques. Mais il faut passer outre cet inconvénient relatif car le document est essentiel.

Paul van Kempen était violoniste dans l’Orchestre du Concertgebouw à l’époque de Mengelberg (il joue d’ailleurs dans l’enregistrement de Mengelberg), et il reproduit ici les grands rubatos, le jeu d’orchestre si savant dans ses divisions, ses compositions d’alliages de timbres si savoureuses, ses rythmes si précis et si libres pourtant, qui donnent au tout un sentiment d’improvisation céleste comme le faisait justement Mengelberg.

Il faut entendre comme cela est joué, respiré, dansé, comme tous les pupitres attaquent et relancent, comme l’orchestre de Mahler devient une saisissante tapisserie sonore, un vrai Klimt en musique. Avec cela une grâce pastorale, une fraîcheur, un charme qui font l’œuvre heureuse jusque dans le tonnerre du Ruhevoll, solaire, nietzschéen. Seule Corry Bjister peine un rien dans les premières pages du Finale, mais son récitatif est piquant à souhait.

Quel orchestre, quel chef, dont je ne connaissais jusque là au rayon mahler qu’une sombre Titan révélée par Tahra. Voici son solaire envers enfin accessible.

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)

Symphonie No. 2 (extrait : II. Andante moderato)
Cadillac Symphony Orchestra
Arnold Schönberg, direction

(enr. live, 1934)

Symphonie No. 4
Corry Bijster, soprano
Hilversum Radio Philharmonic Orchestra
Paul van Kempen, direction
(enr. studio, 1950)

Un album du label Pristine Audio PASC466
Acheter l’album sur le site www.pristineclassical.com

Photo à la une : © DR