Qui pourrait douter que le Manfred de Tchaïkovski ne soit pas un de ses opus d’orchestre majeurs ? Pourtant, cette symphonie narrative (et descriptive) aura été gaussée, accusée d’enflure et de manque d’inspiration jusqu’à ce qu’un trio de jeunes chefs italiens ne la reconsidère en la donnant au concert puis en l’enregistrant : Riccardo Muti fut le premier, Claudio Abbado et Riccardo Chailly le suivirent, et soudain les mélomanes se rappelèrent qu’Igor Markevitch et Evgeni Svetlanov avaient eux aussi payé leur tribut à ces musiques exaltées où Tchaïkovski captura toutes les facettes du héros de Byron.

À Lucerne, où le souvenir de Claudio Abbado est si présent, Riccardo Chailly revient à Manfred, en éclaire les abimes psychologiques, fait tonner l’immense machine orchestrale où Tchaïkovski a mis autant d’inventions et d’effets que dans ses grands ballets, surtout il réalise à plein les audaces de l’écriture, servies par cet orchestre de virtuoses auquel rien ne peut échapper.

C’est d’une beauté envoûtante, on voit les Alpes, on plonge dans les tourments de cette âme, mieux, on sent que Tchaïkovski, réalisant le projet de Balakirev, a trouvé dans son art l’accès à de nouveaux univers. Si bien que l’image se joignant au son, ce concert devient infiniment précieux. Riccardo Chailly poursuivra-t-il un cycle Tchaïkovski avec la transcendante phalange de Lucerne ? Il faut l’espérer.

LE DISQUE DU JOUR

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Manfred, Op. 58
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Le Songe d’une nuit d’été, musique de scène, Op. 61 (extraits : I. Ouverture, II. Scherzo, V. Intermezzo, VII. Notturno, IX. Marche Nuptiale)

Orchestre du Festival de Lucerne
Riccardo Chailly, direction

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Photo à la une : © DR