Année Bruckner

Juin 2016, Chicago, Riccardo Muti parvient aux dernières mesures de l’Adagio de la 9e Symphonie d’Anton Bruckner, ce cercle éternel que le silence peine à dissoudre. Quelle émotion !, que je n’avais plus ressentie depuis qu’un autre chef d’orchestre italien, son alter ego depuis leur jeunesse, Claudio Abbado, avait dirigé les ultimes mesures d’une autre Neuvième Symphonie, celle de Gustav Mahler. Mais avant cette émotion de la dissolution, Muti aura fait résonner le grand climax tel un véritable tremblement de terre sonore, comme jadis l’osait Hans Knappertsbusch, Hermann Abendroth ou Wilhelm Furtwängler.

Qui a osé prétendre que Muti n’était pas chez lui chez Bruckner (et chez Mahler d’ailleurs) ne connaît pas (ou mal) les 4e et 6e Symphonies qu’il grava jadis pour EMI avec les Berliner Philharmoniker (et pas plus sa Titan de Philadelphie), mais après cette Neuvième tellurique, où éclate une direction âpre, minérale, impossible de ne pas entendre son art parfaitement accordé à celui du Ménestrel de Dieu, d’autant que derrière le brasier, la spiritualité n’est jamais loin : la suspension des ultimes mesures est belle comme une oraison.

Cette émotion consommée, en voici une autre, cette fois venue de Vienne. Chicago avait appris son Bruckner (et aussi son Mahler) avec Solti qui lui aura légué ses sonorités de roc, avec Vienne, c’est une tradition multiple qu’étreint Riccardo Muti, tant les chefs s’y seront pliés à ce que l’orchestre a à leur dire.

Mais dans cette Deuxième Symphonie, belle comme un paysage d’Alpes changeant entre soleil et nuages, le génie pictural de Muti se trouve naturellement sollicité, la souplesse de sa battue, l’expressivité de ses nuances, le sens du temps suspendu – c’est la symphonie des silences, la plus schubertienne de toutes – créent un univers infiniment mobile, à la fin tout n’y est plus qu’un enivrant jeu poétique où la sonorité d’ensemble est légère comme une plume, comme si cet orgue virtuel avait quitté la tribune sur les ailes des anges. C’est de l’émotion pure, au-delà du dicible, du Bruckner absolu.

Au même concert du 15 août 2016, Der Bürger als Edelmann, joué en simple divertissement, sans prétention, pour le plaisir, qui nous fait regretter que jamais probablement, fâché comme il l’est avec les metteurs en scène, Riccardo Muti n’aborde un opéra de Strauss. Pourtant, Ariadne ou Daphné lui iraient comme un gant.

LE DISQUE DU JOUR

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 9 en ré mineur, WAB 109

Chicago Symphony
Orchestra

Riccardo Muti, direction

Un album du label CSO Resound CSOR9011701
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Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 2 en ut mineur, WAB 102
Richard Strauss (1864-1949)
Der Bürger als Edelmann, Suite orchestrale, Op. 60b-IIIa, TrV 228c

Wiener Philharmoniker
Riccardo Muti, direction

Un album de 2 CD du label Deutsche Grammophon 002894798189
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Photo à la une : © DR