Le piano pense

L’art de John Browning a toujours souffert d’un malentendu. Parce qu’il avait les meilleurs doigts du monde, un jeu parfait, une carrure d’athlète, parce que, ne jouant que le Troisième Concerto de Prokofiev, il apprit en un temps record pour le disque, à la demande d’Erich Leinsdorf, les quatre autres, parce qu’il était capable de lire à vue les partitions les plus complexes, on lui trouva un cœur froid, les Américains le regardèrent comme un virtuose de la nouvelle école, un alter ego de Van Cliburn, les Européens l’entendirent à peine, mais découvrant ses Études de Chopin, ses Diabelli surtout, les discophiles s’étonnèrent. Quoi, John Browning, ce n’était pas seulement cet acier qui tranchait si parfaitement dans le clavier de Prokofiev ou le héros du Concerto de Barber, qu’il enregistra deux fois ?

Une carrière essentiellement américaine lui permit d’engranger une très belle discographie au-delà de l’ensemble Prokofiev justement célèbre, RCA le captant dans ses années de gloire. Voici enfin ce coffret tant attendu reprenant tous ses albums et y ajoutant des inédits. Au sommet, le peu de Beethoven qu’il aura gravé : les Diabelli si pensées, si structurées, mais aussi un Op. 110 où tout est modelé, me font amèrement regretter l’absence d’autres sonates ou des Variations Eroica. Les Etudes de Chopin sont des modèles de styles, certes, mais comment ne pas s’apercevoir que les Études Symphoniques de Schumann le sont tout autant, décantées, architecturées, une sorte de perfection en soi.

Décidément, ce piano est pensé, mieux, il pense : écoutez seulement le meilleur des Debussy inédits. Si son Deuxième Livre est un rien absent, le disque des triptyques, Images, Estampes, Pour le piano est fabuleux d’imaginations, de couleurs, de diffractions des plans sonores, et ses Ravel, Sonatine claire, Tombeau de Couperin sombre, Gaspard épuré, quelles merveilles. Le virtuose, impérial, éclate dans l’une des plus ardentes versions du Premier de Tchaikovski, mené grand train par le jeune Seiji Ozawa à Londres – il faut bien tout de même que John Browning soit à la hauteur de sa légende.

Somme exemplaire, que vous pourrez compléter avec quelques albums plus tardifs, si vous les trouvez : ses Sonates de Scarlatti, son disque avec tout le piano de Barber prouvent qu’il n’avait rien perdu de son art.

LE DISQUE DU JOUR

John Browning
The Complete RCA Album Collection

Œuvres de Barber, Beethoven, Chopin, Debussy, Prokofiev, Ravel, Saint-Saëns, Schumann, Tchaikovski

John Browning, piano

Un coffret de 12 CD du label RCA/Sony Classical 8985395032
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Photo à la une : Le pianiste John Browning – Photo : © Sony Classical