Le Français de Birmingham

La vie vous a de ses ironies. Au moment même où paraissait le coffret réunissant ses enregistrements avec l’orchestre symphonique de Birmingham, Louis Frémaux s’éteignait le 20 mars dernier. À quatre-vingt-quinze ans, il quittait ce Val de Loire, pays d’adoption qu’il avait chéri, tout nordiste de naissance qu’il fut, où son art si lumineux trouvait une transcription si naturelle dans les cieux et les paysages.

Une jeunesse sous les drapeaux – guerre d’Indochine, guerre d’Algérie et même un grade dans la Légion étrangère – l’aura tenu éloigné de sa vocation musicale, mais en 1947, fini de barouder. Il entre dans la classe de Louis Fourestier au Conservatoire de Paris et en recueillera l’héritage : clarté du son, pureté des couleurs, rectitude du tempo, tout ce qui faisait l’art de son maître si moderne (et même si à part dans sa propre génération, l’en plaçant en quelque sorte à la marge) formera sa syntaxe musicale.
Avec cela, une gestuelle d’une précision diabolique jusque dans son économie.

Monte-Carlo en fera son maître de musique, opéra, ballet, concert, partout s’infusait cet orchestre qui danse et brille. Deutsche Grammophon en publiera des échos (cette Péri, et Parade, mon Dieu !) qui feraient un autre beau coffret d’hommage. On lui confie le futur orchestre de Lyon qu’il invente en quelque sorte, puis ce sera l’Angleterre, et ses mélomanes curieux de musique française. Le voila à Birmingham, reprenant là encore l’orchestre, lui créant un chœur, dix années fastueuses, un contrat avec His Master’s Voice qui lui laisse l’entière liberté de choisir son répertoire.

Il en profite pour réaliser son anthologie de musique française – hélas si peu de Debussy (le seul Prélude à l’après-midi d’un faune) et de Ravel (Boléro), plus tard avec les orchestres londoniens, il y reviendra pour Collins – mais en place de ces Dieux bien fournis, des Massenet à tomber (Gardiner se souviendra de ses Scènes pittoresques !), un Requiem de Fauré pure lumière, Berlioz joué en classique, la Troisième Symphonie de Saint-Saëns la plus tenue et pourtant la plus éloquente de la discographie et un disque Bizet pour l’éternité avec ce qui demeure ma Symphonie en ut favorite et le rare Roma.

La curiosité impertinente de Frémaux nous vaudra tout un album Ibert répondant en quelque sorte à celui de Jean Martinon à Paris – ils étaient alors dans ces années soixante-dix bien seuls à rendre hommage à l’auteur de Persée et Andromède – où jusque dans le déluré du Divertissement, l’ivresse de la Bacchanale rayonne cette élégance pleine d’autorité.

Mais il y a encore mieux, un album Poulenc avec le plus parfait Gloria, vif et tranchant, et des Biches irrésistibles d’élan, si gracieuses, si persiffleuses, un Concerto pour piano aussi avec Cristina Ortiz, tendre et fluide.

Côté anglais, Walton qui l’adorait lui inspire un album splendide, mêlant la suite de Façade et le Gloria, mais il offre aussi au jeune John McCabe (la trentaine alors) son premier disque d’œuvres orchestrales révélant le somptueux Notturni ed albaJill Gomez déploie ses sortilèges de magicienne.

Retrouver tout cela, c’est rendre hommage à notre chef français le moins connu chez nous, et le retrouver au sommet de son art, vraie boite à merveilles !

LE DISQUE DU JOUR

Louis Frémaux
The Complete CBSO
Recordings

Hector Berlioz (1803-1869)
Grande messe des morts,
Op. 5, H. 75

Le Carnaval romain,
Op. 9, H. 95

Benvenuto Cellini, H. 76 –
Ouverture

Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet, H. 103
La Damnation de Faust, Op. 24, H. 111 (extraits)
Les Troyens, Op. 29, H. 133 (extraits)
Jules Massenet (1842-1912)
Le Cid – Suite de ballet
Suite No. 4, « Scènes pittoresques »
La Vierge (extrait : Le Dernier Sommeil de la Vierge)
Georges Bizet (1837-1875)
Roma, WD 37
Symphonie en ut majeur, WD 33
Edouard Lalo (1823-1892)
Symphonie espagnole en ré mineur, pour violon et orchestre, Op. 21
Concerto pour violoncelle en ré mineur
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto pour violoncelle No. 1 en la mineur, Op. 33
Symphonie No. 3 en ut mineur, Op. 78
Le Carnaval des animaux, R. 125
Étude-Caprice, Op. 52 No. 6 (arr. E. Ysaÿe pour violon et orchestre)
Le Déluge, Op. 45 (extrait : Prélude)
Wedding Cake, Op. 76
Allegro appassionato, Op. 43
Danse macabre, Op. 40
Henry Litolff (1818-1891)
Concerto symphonique No. 4 en ré mineur, pour piano et orchestre, Op. 102 (extrait : II. Scherzo)
Gabriel Fauré (1845-1924)
Requiem, Op. 48
Cantique de Jean Racine, Op. 11
Ballade en fa dièse majeur, Op. 19 (version orchestrale)
Emmanuel Chabrier (1841-1894)
España
Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune, L. 86
Erik Satie (1866-1925)
Gymnopédies Nos. 1 & 3 (orchestration Debussy)
Paul Dukas (1865-1935)
L’Apprenti sorcier
Maurice Ravel (1865-1935)
Boléro, M. 81
Jacques Ibert (1890-1962)
Divertissement
Symphonie marine
Bacchanale
Louisville-Concert
Bostoniana
Arthur Honegger (1892-1955)
Pacific 231, H. 53
Francis Poulenc (1899-1963)
Gloria, FP 177
Concerto pour piano, FP 146
Les biches, FP 36b
William Walton (1902-1983)
Façade, Suites Nos. 1 & 2
Gloria
Orb and Sceptre
Coronation Te Deum
Crown Imperial
The Wise Virgins
John McCabe (1939-2015)
Notturni ed alba
Symphonie No. 2
Jacques Offenbach (1819-1880)
Ouvertures de : Orphée aux enfers, La Grande Duchesse de Gérolstein, La Belle Hélène, Barbe-Bleue, La vie parisienne
etc.

Norma Burrowes, soprano
Jill Gomez, soprano
Barbara Robotham, mezzo-soprano
David Hugues, tenor
Anthony Rolfe Johnson, tenor
Robert Tear, ténor
Brian Rayner Cook, baryton

David Bell, clarinette
Brenda Lucas Ogdon, piano
John Ogdon, piano
Cristina Ortiz, piano
Maria de la Pau Tortelier, piano
Christopher Robinson, orgue
Francis Grier, orgue
Paul Tortelier, violoncelle
Yan Pascal Tortelier, violon

City of Birmingham Symphony Orchestra
Louis Frémaux, direction

Un coffret de 12 CD du label Warner Classics 0190295886738
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Photo à la une : © DR