Dostoïevski-Janáček par Boulez-Chéreau

Voilà une œuvre peu connue, et souvent jugée difficile d’accès. Mais cet opéra de Janáček mériterait d’être bien plus connue et sa relative difficulté d’accès est largement estompée lorsqu’on le donne avec une telle réussite. Ce dernier opéra de Janáček (1930) est inspiré de l’œuvre de Dostoïevski Souvenirs de la maison de morts. Patrice Chéreau explique d’ailleurs que tout le texte est tiré mot pour mot de Dostoïevski, à quelques transitions près ajoutées par Janáček lui-même. Cela en fait, avec l’Elektra de Richard Strauss, l’une des adaptations à l’opéra les plus fidèles à leurs sources littéraires. Comme dans le Billy Budd de Britten, tous les personnages sont des hommes. Et comme Billy Budd, De la maison des morts montre cruauté et détresse dans un univers clos et confiné.

La musique de Janáček, poignante sans être larmoyante, est très caractéristique du compositeur, extrêmement reconnaissable dans son style et dans son orchestration, rappelant continûment la Sinfonietta et Tarass Bulba, Jenůfa et Katja Kabanova, œuvres plus connues et par lesquelles il vaut mieux commencer son écoute du compositeur.

Plus de vingt-cinq ans après la célèbre réalisation de La Tétralogie de Wagner à Bayreuth, ont été réunis à nouveau, ici au Festival d’Aix en 2007, le chef d’orchestre Pierre Boulez, le metteur en scène Patrice Chéreau, et les décors de Richard Peduzzi pour cet événement.

Mais contrairement à La Tétralogie, ici, les décors sont bien plus réalistes, les murs froids d’un pénitencier, et la mise en scène bien plus dépouillée et touchante par l’émotion qu’elle suscite. Le gris et le noir sont omniprésents, comme l’est l’œuvre elle-même et son atmosphère de bagne de Sibérie, avec promiscuité, violence, injustices.

Il n’y a d’ailleurs pas d’histoire proprement dite, mais plutôt une succession d’épisodes, souvent récits des différents forçats. L’œuvre vaut pour l’atmosphère qui y règne, son pessimisme exceptionnel, sa beauté désespérée. Et la direction de Boulez permet de tout entendre, tout comprendre.

L’association DostoïevskiJanáčekBoulezChéreau, dans des conditions d’image et de son aussi fidèles, offre une expérience rare. Les commentaires du livret de Pierre Boulez et Patrice Chéreau, excellents et passionnants, en sont une très bonne introduction.

Un coup de foudre.

LE DISQUE DU JOUR

Leoš Janáček (1854-1928)
De la maison des morts, JW 1/11

Olaf Bär, baryton
(Alexandre Petrovitch Goriantchikov)
Eric Stoklossa, ténor (Alyeya)
Štefan Margita, ténor
(Filka Morosov)
Peter Straka, ténor
(Le grand prisonnier)
Vladimír Chmelo, baryton (Le petit prisonnier)
Jiří Sulženko, basse
(Le commandant)
Heinz Zednik, ténor
(Le vieillard)
John Mark Ainsley, ténor (Skouratov)
Ján Galla, ténor (Tchekounov)
Tomáš Krejčiřík, ténor (Le prisonnier ivre)
Martin Bárta, baryton (Le prisonnier cuisinier)
Vratislav Kříž, basse (Le Pope)
Olivier Dumait, ténor (Le jeune prisonnier)
Susannah Haberfeld, mezzo-soprano (Une prostituée)
Ales Jenis, baryton (Le prisonnier, Don Juan)
Marián Pavlovič, ténor (Le prisonnier Kedril)
Peter Hoare, ténor (Chapkine)
Gerd Grochowski, baryton-basse (Chichkov)
Andreas Conrad, ténor (Tcherevine)
Arnold Schönberg Chor (Chef de choeur : Erwin Ortner)
Mahler Chamber Orchestra
Pierre Boulez, direction
Patrice Chéreau, mise en scène

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Photo à la une : © DR