Dans la nuit du 7 au 8 septembre 1943, 186 détenus furent pendus dans l’enceinte de la prison de Plötzensee alors que les bombes tombaient sur Berlin. Entre eux, un jeune homme de vingt-sept ans, Karl Robert Kreiten, compositeur, pianiste parmi les plus brillants de sa génération, Claudio Arrau évoquait encore son souvenir au soir de sa vie, avec des larmes dans les yeux.
Il suffit d’entendre quelques pages du Deuxième Cahier des Variations Paganini de Brahms pour comprendre immédiatement quel génie du piano était déjà celui que Claudio Arrau avait pris sous son aile au Conservatoire Stern.
Les quelques gravures qu’il réalisa en 1934, alors qu’il n’avait que dix-huit ans, laissent sans voix, que ce soit dans Brahms ou Chopin, mais Kreiten est passé à la postérité par un enregistrement fabuleux de son propre arrangement du Beau Danube Bleu de Johann Strauss fils, gravé en 1938. Toute une époque s’y résume, qui va bientôt sombrer, on pense à Stefan Zweig.
L’éditeur a réuni tout le legs si parcellaire, si maigre, qu’aura laissé le jeune homme, essentiellement des 78 tours privés, y ajoutant quelques inédits où l’on devine le jeu du pianiste plutôt qu’on ne l’entend, comme cette Toccata du Tombeau de Couperin, fantôme de sons derrière un mur de bruit.
L’entreprise, de toute façon utile, aurait été exemplaire si ne venait la grever quelques pièces d’hommages composées aujourd’hui et dont les interférences nuisent. Le vrai tombeau de Karl Robert Kreiten est tout entier dans ses rares sillons. Allez, encore une fois son Beau Danube, si bleu.
LE DISQUE DU JOUR
Karl Robert Kreiten
Historical Recordings
Œuvres de Banasik, Blarr, Blomenkamp, Brahms, Chopin, Forkardt, T. Kreiten, Lojak, Ravel, Schoeck, Johann Strauss fils
Karl Robert Kreiten, piano
Tobias Koch, piano (Blarr, Blomenkamp)
Udo Falkner, piano (Banasik, Lojak)
Un album du label AVI-Music 8553155
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Photo à la une : © DR