L’air du large

La revoici la belle intégrale, celle qui au long des années quatre-vingt me fit redécouvrir le piano de Fauré dont m’avait dépris le pénible pensum infligé par Jean Hubeau.

Soudain, Fauré revenait de ce romantisme profond porté par une imagination romanesque, enjambant les impressionnistes en ses derniers opus pour toucher à de nouveaux mondes. Quel voyage, porté par un piano profus, ample, osant le rubato, dispensant des couleurs savantes, clavier littéraire qui souvent chantait comme s’il entourait un baryton. Superbe, Paul Crossley me rappelait soudain les grands albums des anciens, Jean Verd, Vlado Perlemuter, Albert Ferber, mais lui m’offrait l’intégrale.

Cette somme savante, raffinée mais puissante, qui ose le grand son et sait aussi aller à l’éther est restée à part, acmé du périple de Crossley dans le piano français, entreprise en même temps que son intégrale Ravel pour le même éditeur, elle aussi assez géniale. Debussy puis Poulenc suivront pour Sony. Elle dit tout d’un univers complexe, trop longtemps tenu dans une certaine école française qui l’aura affadi, emprisonné au salon, alors qu’au contraire, il veut l’océan et la forêt, vraie musique de plein air qui ici se charge d’embruns. L’acoustique dorée de l’Unitarian Chapel d’Hampstead porte ce piano ample et profond, l’œuvre rayonne avec toujours autant de chaleur.

À cette magie, Michel Dalberto oppose un disque sombre, tendu, amer, très buriné, qui assène le clavier de Fauré, le fait véhément et impérieux : comparez simplement son Thème et variations à celui de Crossley, vous verrez qu’il lui est non seulement son opposé mais semble même jouer d’une autre partition.

Le prisme implacable par lequel Dalberto voit son Fauré, à vrai dire, m’épuise, cet abus du tragique que souligne une prise de son très dans le piano, sans espace, où tout s’assène produit une sensation d’étouffement.

C’est probablement voulu, et certainement génial pour les grands Nocturnes, j’avais tant aimé son Debussy qu’il faut bien dire aujourd’hui que je déteste son Fauré. Mais que cela ne vous en détourne pas, c’est une vision aboutie, qui vous semblera probablement magnifique. Je retourne rêver avec Paul Crossley.

LE DISQUE DU JOUR

Gabriel Fauré (1845-1924)
L’Œuvre pour piano (Intégrale)
Nocturnes
Barcarolles
Pièces brèves, Op. 84
9 Préludes, Op. 103
Impromptus, Op. 25, 34, 91 & 102
Thème et variations, Op. 73
Valses-Caprices, Op. 30, 38, 59, 62
Romances sans paroles, Op. 17
Ballade en fa dièse majeur, Op. 19 (version pour piano seul)
Mazurka, Op. 32

Paul Crossley, piano
Un coffret de 5 CD du label CRD 5006
Acheter l’album sur le site du label CRD, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr


Gabriel Fauré
Ballade en fa dièse majeur,
Op. 19 (version pour piano seul)

Impromptu No. 3 en la bémol majeur, Op. 34
Nocturne No. 6 en ré bémol majeur, Op. 63
Nocturne No. 7 en ut dièse mineur, Op. 74
Thème et variations
en ut dièse mineur, Op. 73

Nocturne No. 9 en si mineur, Op. 97
Nocturne No. 11 en fa dièse mineur, Op. 104 No. 1
Nocturne No. 13 en si mineur, Op. 119

Michel Dalberto, piano

Un album du label Aparté AP150
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Photo à la une : © DR