Madame Bach

En 1975, Michel Garcin, le directeur artistique d’Erato, présentait fièrement à la presse musicale parisienne un fort coffret de vingt-et-un microsillons réunissant tout ce que Bach avait écrit pour le clavecin. À ses cotés, Zuzana Růžičková souriait modestement. Cette parution fit l’effet d’une bombe, d’autant plus qu’Erato comptaient nombre de clavecinistes dans ses rangs, Huguette Dreyfus, Élisabeth Chojnacka, Laurence Boulay, Luciano Sgrizzi, Robert Veyron-Lacroix. Mais cette somme aura été signée par une seule interprète, et quelle !

On avait un peu oublié alors que Zuzana Růžičková avait réchappé des camps de la mort, qu’elle s’était imposée comme une interprète zélée du répertoire contemporain, renouvelant l’intérêt des compositeurs tchèques pour le clavecin et d’abord celui de son époux à la ville, Viktor Kalabis, mais on ne savait pas, en France du moins, son dévouement à la cause de Bach interprétée au clavecin : la réentendre aujourd’hui jouer avec tant de superbe, tant d’aplomb les Goldberg, les Suites anglaises, Le Clavier bien tempéré – qu’elle tempère très peu – rappelle soudain la stature historique de son œuvre, et le fait qu’elle fut la première à engranger l’intégrale là où Landowska, Kirkpatrick, Walcha lui-même, délaissant ses orgues, n’avaient signé que d’opulentes anthologies. A la même époque, à Dresde et à Vienne, Isolde Ahlgrimm s’attelait elle aussi à une « intégrale » Bach, toute différente, plus chantée. Celle pour qui Richard Strauss ouvragera une suite de clavecin tirée de Capriccio mériterait de voir son art réévalué, mais tel Fafner, Universal dort sur ce trésor.

Un mystère d’ailleurs entoure les sources de ces enregistrements : Warner n’en indique ni les lieux ni les dates, alors même que Zuzana Růžičková, toujours parmi nous, aurait pu donner quelques indications. Je me souviens que visitant les archives de Supraphon à Prague, je tombais sur des rayons entiers de bandes notées Bach Růžičková, et les Concertos avec les Solistes de Prague d’Eduard Fischer ont été évidemment enregistrés au bord de la Moldau. Mais le reste ? Mystère.

Et les clavecins joués ? La plupart du temps, les instruments de facteurs modernes, mais pas toujours puisque ça et là sonnent les Hemsch restaurés par Claude Mercier-Ythier. Mais en savoir si peu précisément illustre bien à quel point la mémoire du disque est fragile.

Peu importe, cette somme altière, souvent splendide, et qui porte son âge et son style crânement, ne s’est guère démodée au fond, la hauteur du propos, sa densité spirituelle peuvent se comparer à celle d’un Walcha ou d’un Leonhardt : le discours de Bach y rayonne entier, et l’album aura paru à temps pour célébrer les 90 ans de l’artiste, le 14 janvier dernier.

LE DISQUE DU JOUR

cover ruzickova bach eratoJohann Sebastian Bach (1685-1750)
Le Clavier bien tempéré, Parties I & II, BWV 846-893
Variations Goldberg, BWV 988
Suite en si bémol majeur, BWV 821
Inventions à deux voix, BWV 772-786
Inventions à trois voix, BWV 787-801
Fantasia et fugue en ut mineur, BWV 906
6 Suites anglaises, BWV 806-811
6 Suites françaises, BWV 812-817
6 Partitas, BWV 825-830
Toccata en fa dièse mineur, BWV 910
Toccata en do mineur, BWV 911
Toccata en ré majeur, BWV 912
Toccata en ré mineur, BWV 913
Toccata en mi mineur, BWV 914
Toccata en sol mineur, BWV 915
Toccata en sol majeur, BWV 916
Ouverture dans le style français, BWV 831
Suite en mi bémol majeur, BWV 819
Duetto en mi mineur, BWV 802
Duetto en fa majeur, BWV 803
Duetto en sol majeur, BWV 804
Duetto en la mineur, BWV 805
Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo en si bémol majeur, BWV 992
Capriccio en mi majeur, BWV 993
Aria variata en la mineur, BWV 989
Sonate en ré majeur, BWV 963
Prélude et Fugue en la mineur, BWV 894
Fantaisie et Fugue en la mineur, BWV 904
Fantaisie et Fugue en la mineur, BWV 944
Concerto en ré majeur, BWV 972 (d’après l’Op. 3 No. 9, RV 230, d’Antonio Vivaldi)
Concerto en sol majeur, BWV 973 (d’après l’Op. 7 No. 2, RV 299, d’Antonio Vivaldi)
Concerto en sol mineur, BWV 975 (d’après l’Op. 4 No. 6, RV 316, d’Antonio Vivaldi)
Concerto en do majeur, BWV 976 (d’après l’Op. 3 No. 12, RV 265, d’Antonio Vivaldi)
Concerto en sol majeur, BWV 980 (d’après l’Op. 4 No. 1, RV 381, d’Antonio Vivaldi)
Sonate pour viole de gambe et clavecin No. 1 en sol majeur, BWV 1027
Sonate pour viole de gambe et clavecin No. 2 en ré majeur, BWV 1028
Sonate pour viole de gambe et clavecin No. 3 en sol mineur, BWV 1029
Sonate pour violon et clavecin en si mineur, BWV 1014
Sonate pour violon et clavecin en la majeur, BWV 1015
Sonate pour violon et clavecin en mi majeur, BWV 1016
Sonate pour violon et clavecin en ut mineur, BWV 1017
Sonate pour violon et clavecin en fa mineur, BWV 1018
Sonate pour violon et clavecin en sol majeur, BWV 1019
Concerto pour flûte, violon et clavecin en la mineur, BWV 1044
Concerto brandebourgeois No. 5 en ré majeur, BWV 1050

Zuzana Růžičková, clavecin
Jean-Pierre Rampal, flute
Pierre Fournier, violoncelle
Josef Suk, violon
Prague Soloists
Eduard Fischer, direction

Un coffret de 20 CD du label Erato 0190295930448
Acheter l’album sur Amazon.fr

Photo à la une : © DR