Le piano des Lumières

Deux pianistes majeurs voient aujourd’hui encore leur leg dispersés, sans que leur éditeur historique, d’ailleurs le même, Sony, ne leur ait consenti une de ses « wonder box » dont cette maison a le secret. Qui donc ? Deux émigrés, qui virent leurs années de maturité fleurir aux States : Rudolf Serkin et Robert Casadesus. Pour Serkin, Sony annonce l’an prochain une édition enfin digne de son génie, mais rien pour Casadesus.

Une raison supplémentaire pour fêter le fort coffret de 30 CD que Scribendum consacre à l’art lumineux de ce pianiste absolument français, de timbre, de jeu, de style qui enchanta le public nord-américain. Non pas une intégrale, mais une somme habillement troussée où toute l’ampleur de son répertoire est illustrée, de Bach (admirablement composé en son d’orchestre, sa 6e Suite française !) à Ravel dont il fut proche, réalisant à égalité avec Marcelle Meyer et Vlado Perlemuter une intégrale du piano solo où le texte est absolument exact.

Inutile de revenir à ses Mozart évidents où tout rayonne, que ce soit en concertos, en sonate et jusque dans ce Quintette avec vents qui chante comme un opéra, fabuleux ensemble demeuré indémodable. Mais en face de ces Mozart, les gravures beethovéniennes sont tout aussi affirmées, évidentes par l’engagement des phrasés, la clarté du jeu, et jusqu’à un caractère improvisé que l’on n’associerait pas d’évidence avec l’art de Casadesus : écoutez seulement la Sonate « à Thérèse » ou ce Clair de lune adamantin, nuit lumineuse. Inimitable.

Les perles abondent, les raretés aussi comme ces Dichterliebe avec Pierre Bernac en 1952 ou tous les disques qu’il aura gravés avec son épouse Gaby : quel orchestre ils invitent dans le mal nommé En blanc et noir. Les deux pleins CD DebussyPréludes, Images, Estampes, Masques, L’Isle joyeuse, les Arabesques et un Children’s Corner plus mystérieux que tendre – rappellent à quel point son piano préférait sculpter qu’évoquer, c’est admirable de grain, de présence, avec une main gauche incroyable qui fait entendre des choses qu’on ne perçoit jamais.

Les Ravel sont d’autres modèles, tempos parfaits, conduite évidente, avec cette absence d’affect qui par antithèse suscite d’autant plus l’émotion. Il joue son Ravel comme son Mozart. Mais lorsque le Concerto pour la main gauche résonne, c’est dans une nuit de cauchemar sans rémission qui terrorise. Étrange qu’il n’ait jamais joué (ou en tous cas enregistré) le Concerto en sol, que j’entendrais plus naturellement accordé à son clavier.

An détour d’un disque, je retrouve ce Quatuor Op. 15 de Fauré gravé en mai 1947 avec les Calvet dont enfant je fis si souvent tourner les 78 tours, ou cette Sonate de Debussy avec Maurice Maréchal, modèle intangible. Je n’en finirais pas de détailler cet album essentiel. On se remboursera de l’absence de livret, d’une édition plutôt frustre par l’excellence des reports, c’est l’essentiel.

Parmi tout cela, un des trente disques ne quitte plus ma platine, celui où s’enchaîne à quatre pièces de Rameau six Sonates de Scarlatti, merveilles d’un piano de plein air où rayonne le plaisir physique d’un artiste de première grandeur, trop délaissé aujourd’hui. Allez, encore une fois la Gavotte et ses doubles, où il semble répondre en timbres, en rythmes, à Marcelle Meyer elle-même.

LE DISQUE DU JOUR

cover-casadesus-scribendum-boxThe Art of Robert Casadesus

Œuvres de J. S. Bach, Bartók, Beethoven, Brahms, Casadesus, Chausson, Chopin, Debussy, Falla, Fauré, Franck, Liszt, Mozart, Rameau, Ravel, Saint-Saëns, Satie, Scarlatti, Schubert, Schumann, Weber

Robert Casadesus, piano

Un coffret de 30 CD du label Scribendum SC 506
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Photo à la une : Robert et Gaby Casadesus – Photo : © DR