Le roi des ombres

Josef Holbrooke demeure le génie maudit de la musique britannique comme le fut Rued Langaard pour la musique danoise : des originaux absolus, libres dans la marge, maudits par l’institution malgré leurs succès publics et l’admiration des lettrés, réfugiés dans leurs œuvres qui les rédimeront pour la postérité.

C’est à peu près entendu pour les Symphonies de Langaard, bien moins pour Holbrooke dont le génie orchestral est pourtant saisissant. Commencez donc le disque par son dernier opus, ce Corbeau (The Raven). Les auditeurs du Crystal Palace le découvrent un soir de 1900, conte noir inspiré par Poe, l’opus 1 d’un jeune homme qui n’a pas encore passé ses vingt deux ans. Sensation devant cet orchestre fuligineux, sombre, génialement composé qui distille un malaise. Des dames se seraient évanouies, dit-on. En tous cas, la carrière s’ouvrait devant le jeune compositeur. Il restera fidèle à Poe, proposant sa propre version des Carillons qui tient tête fièrement à celle de Rachmaninov, dressant le portrait de l’écrivain américain dans sa Première Symphonie. Le fantastique, l’étrange furent sa vraie nature.

Et qui entendra ici The Raven dans la lecture crépusculaire et fantasmagorique qu’en délivre Howard Griffiths et son orchestre ne pourra être que saisi par l’art suggestif du compositeur : rien ne s’était vu en Albion de si sombre, de si prégnant, de si singulier.

Le reste du disque illustre l’autre face, celle du compositeur adoubé, installé, qui sait aussi briller, cycle de variations habilement troussée ou Concerto pour violon bavard et jouissif, jouant des clichés avec une certaine ironie. Mais le vrai visage d’Holbrooke est tout entier dans le coup de maître de The Raven. Puisse CPO poursuivre après déjà plusieurs volumes dans son exploration du gigantesque catalogue de cette figure majeure du renouveau de la musique britannique au XXe siècle.

LE DISQUE DU JOUR

cover-holbrooke-griffiths-2-cpoJosef Holbrooke (1878-1958)
The Raven, Op. 25
Concerto pour violon, Op. 59,
« The Grasshopper »

Variations sur « Auld Lang Syne », pour grand orchestre, Op. 60

Judith Ingolfsson, violon
Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt
Howard Griffiths, direction

Un album du label CPO 777636-2
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Photo à la une : © DR