Allegro, 1740

Pour mes vingt ans, je reçus le tout récent enregistrement de L’Allegro, Il Penseroso et il Moderato que venait de faire paraître John Eliot Gardiner chez Erato. Je connaissais le poème de Milton, j’avais apprivoisé la partition de Haendel avec la luxueuse version de David Willcocks où les solistes (Elsie Morison, Elizabeth Harwood, Helen Watts, Peter Pears !) rivalisaient de beau chant, mais ce fut le geste enthousiaste de Gardiner qui me révéla l’œuvre dans sa quasi-intégralité – un air manquait, une reprise à Sweet Bird, broutilles.

Depuis l’œuvre est demeurée relativement peu courue au disque, malgré ses beautés évidentes – Robert King la dirigea avec art mais en somme de l’extérieur, seulement inspiré lorsque le soprano velours et soie de Lorna Anderson paraissait – son Sweet Bird avec la flûte ombreuse de Rachel Brown est demeuré anthologique – John Nelson y osa une version sans instruments d’époque assez brillamment chantée, à la scène plusieurs propositions chorégraphiques donnèrent à cet ouvrage inclassable une seconde chance puisque le concert l’oubliait. Mais rien qui pût remettre en question le génie Gardiner.

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Le chef d’orchestre britannique Paul McCreesh, fondateur et directeur de l’ensemble Gabriel Consort & Players – Photo : (c) DR

Ce que ne fera pas d’ailleurs la nouvelle venue. Paul McCreesh et ses Gabrieli Consort & Players offrent l’œuvre telle qu’elle fut donnée lors de sa création le 27 février 1740. Londres vivait un hiver polaire, la Tamise se traversait à pied sec, les charmes pastoraux de la première partie résonnèrent dans l’air glacé du Theater Lincoln’s Inn Fields, semblant bien incongrus.

En 1740, Haendel ne disposait que d’une soprano, la Francesina (Elisabeth Duparc) pour incarner Penseroso – il en aura jusqu’à quatre au cours des nombreuses reprises d’un ouvrage qu’il remania d’abondance – L’Allegro convoquant trois chanteurs, un boy soprano, le ténor John Beard et la basse Henry Reinhold, Willam Savage incarnant à lui seul Moderato.

Les équilibres de la première version étaient donc tout différents. Le visage de l’œuvre s’en trouve changé, plus proche d’une ode que d’un oratorio. Et le lyrisme un rien univoque qu’y distille McCreesh dévoile l’une des sources d’inspiration de Haendel : les grandes odes de Purcell. Cette nature placide a bien des charmes, la restitution des concertos grossos ouvrant chacune des trois parties – Haendel fit beaucoup de publicité autour de ceux-ci – élargit le cadre et je dois avouer que le Concerto pour orgue Op. 7 No. 1 qui prélude à Il Moderato fait son effet.

Distribution subtile. Gillian Webster est magique dans le quasi quart d’heure d’un Sweet Bird intégralissime, Jeremy Ovenden irrésistible de gouaille, et ses compagnons formidables, à commencer par Laurence Kilbsy, boy soprano radieux qui caresse « And ever against eating cares » avec art : ce fut son ultime enregistrement avant sa mue. Sur cette compagnie de poètes, Paul McCreesh met un geste lyrique, réflexif, tout en tempos lents. Le temps se suspend plus d’une fois.

Même si Gardiner demeure au pinacle, je retournerais au théâtre élégiaque et un rien mélancolique des Gabrieli, maîtres d’un autre Allegro.

LE DISQUE DU JOUR

cover haendel allegro mccreesh signumGeorg Friedrich Haendel
(1685-1759)

L’Allegro, il Penseroso
ed il Moderato (version 1740)

Gillian Webster, soprano
Laurence Kilsby, voix d’enfant
Jeremy Ovenden, ténor
Peter Harvey, baryton
Ashley Riches, basse
Peter Harvey, baryton

Gabrieli Consort & Players
William Whitehead, orgue
Paul McCreesh, direction

Un livre-disque, avec 2 CD, du label Signum Classics SIGCD392
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Photo à la une : © DR