Repousser les limites

Une Tribune des critiques de disques avait placé son Gaspard de la Nuit en tête d’une confrontation épicée juste devant celui de Martha Argerich. Victoire due à l’invention d’un piano simplement incroyable qui change radialement l’écoute que l’on peut avoir de l’instrument, et ouvre tout un champ de possibles. Sergio Tiempo avait médusé l’assistance du Festival de Menton alors qu’il n’avait que sept ans. Un concert à Amsterdam à onze ans enflamma la planète piano. Puis, le jeune pianiste d’origine vénézuélienne se fit plus discret, guidé par Martha Argerich et Nelson Freire, approfondissant son art.

Virtuose incandescent, mais surtout inventeur de nouveaux sons : écoutez comment soudain il transforme son piano en cymbalum dans la Totentanz de Liszt. Personne, même Cziffra n’avait pu produire cet effet. Ce degré d’imagination passe aussi dans la réinterprétation drastique des textes. Relus avec une telle fantaisie, les Trois Sonnets de Pétrarque vous seront méconnaissables afin de mieux vous séduire. Et pour ce qui est du style, son Premier Concerto de Tchaïkovski élancé, avec ses octaves qui implosent, en remontre à Martha Argerich elle-même. Ce jeu cambré, si affirmé, est sans équivalent aujourd’hui.

Depuis quelques années, il forme avec sa sœur Karin Lechner un duo encourageant la création artistique. Leur dernier album commun compose un programme de tangos partagé entre Astor Piazzolla et Pablo Ziegler encadrant un stupéfiant concerto écrit à leur intention par le compositeur argentin Federico Jusid. Son Tango Rhapsody, pour deux pianos et orchestre, mêle des sections rythmiques motoristes d’une écriture excitante au possible à des plages lyriques qui rappellent les nombreuses musiques de films née de la plume d’un musicien diablement efficace.

Sergio Tiempo et sa sœur repoussent tout au long de ce disque les limites du piano moderne, cherchant et trouvant des effets sidérants. Formidable, mais l’exercice, même si ce n’est pas pour me déplaire, se place à la limite des genres. Et si Sergio Tiempo nous offrait demain le Rudopoema de Villa-Lobos, qui semble écrit bien plus pour lui que pour Arthur Rubinstein ?

LE DISQUE DU JOUR

cover Liszt Sergio-Tiempo-L5414706103821Franz Liszt (1811-1886)
Totentanz (Danse macabre), S. 126
3 Sonnets de Pétrarque, S. 270
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en si bémol mineur, Op. 23

Sergio Tiempo, piano
Orchestra della Svizzera Italiana
Ion Marin, direction
Alexandre Rabinovitch-Barakovsky, direction

Un album du label Avanticlassic 5414706103821

cover tango avanti classicTango Rhapsody
Œuvres d’Astor Piazzolla, Pablo Ziegler, Federico Jusid

Karin Lechner, Sergio Tiempo, piano
Orchestra della Svizzera Italiana
Jacek Kaspsyk, direction

Un album du label Avanticlassic 5414706103326

Photo à la une : (c) DR