Deux fois Sacre

Jeune homme, David Zinman fut l’élève puis l’assistant de Pierre Monteux à Londres. C’est de Monteux qu’il apprit cet art d’une balance d’orchestre claire, où tout s’entend. Une des confessions les plus inattendues qu’il reçut de son mentor, fut son désamour du Sacre du printemps, alors même qu’il continuait de le diriger : on ne renie pas un chef-d’œuvre que l’on a créé.

Mais la partition l’avait laissé interdit, sans forme, et Monteux s’était borné à compter pour les danseurs. En dehors de cette anecdote, David Zinman rappelle que Monteux ne connut jamais la partition définitive établie par Stravinski en 1967 : la mort l’avait emporté le premier juillet 1964.

Ici commence l’odyssée dont cet album veut rendre compte. Tout au long de son existence, Stravinski n’eut de cesse de corriger Le Sacre, non pas comme il le faisait avec ses autres partitions pour produire des éditions révisées qui lui permettraient de toucher à nouveau des droits d’auteur, mais dans un souci de clarification de son œuvre. Finalement, en 1967, une mouture définitive fut publiée : corrections dans le rythme, indications dynamiques pour les phrasés – l’exemple du solo de basson qui ouvre le ballet, à l’état brut dans la partition de 1913, annoté dans celle de 1967, est emblématique – réorchestrations.

Le visage de l’œuvre en fut-il bouleversé ? L’histoire discographique du Sacre a déjà mis en regard les évolutions de son texte, mais pour la première fois un double album enregistré par le même chef et le même orchestre dans la même acoustique durant les mêmes sessions tenues du 7 au 9 juin 2013, les confronte. Et Zinman porte un éclairage résolument différent sur les deux moutures.

L’autographe original, dont le fac-similé a été somptueusement édité par la Fondation Sacher, reçoit une lecture drue, sèche, motoriste, qui se règle sur les pas de danseurs imaginaires. L’orchestration sèche, plus verticale, assène une violence sans frein qui culmine dans un Cortège du Sage bruitiste et dans une Danse de la Terre implacable.

La partition définitive, plus opulente, plus lissée dans les profondeurs d’une harmonie où sont entrés bien des échos de l’histoire de la musique du XXe siècle, quitte le monde de la danse pour celui de la symphonie : grande machine somptueuse qui risque de ne plus être qu’un décor : comparez les deux versions des Cercles mystérieux des adolescentes.

J’avoue que David Zinman m’a une fois de plus bluffé par l’intelligence de son propos et la perfection de sa réalisation : cet album signe l’apothéose de son mandat à Zürich – il faudrait tout de même que Sony édite ses Gurrelieder captés en concert à la même époque pour que le portrait de cet âge d’or soit complet – et l’éditeur a bien fait les choses.

Enregistrements somptueusement captés des deux versions complétés par une grande interview de David Zinman avec la participation du bassoniste Philippe Hanon, livret quadri-chromique remarquablement documenté et abondamment illustré, mais uniquement en allemand et en anglais qui semble ne pas prendre en compte un édition pour la France. Ce serait dommage… mais non, patience, il sort chez nous le 13 avril 2015 !

LE DISQUE DU JOUR

cover zinman stravinski rcaIgor Stravinski (1882-1971)
Le Sacre du printemps
(version originale, 1913 ; version révisée, 1947

Tonhalle-Orchester Zürich
David Zinman, direction

Un double livre-disque du label Sony Classical 88843095462

Photo à la une : le chef d’orchestre David Zinman – Photo : (c) Priska Ketterer