Du malheur d’être virtuose

Après tant d’albums pyrotechniques où Philippe Jaroussky ne faisait qu’une bouchée des répertoires de Porpora, Farinelli ou Carestini, le voici rendu enfin à la musique. Et confronté à une partition où on l’espérait depuis des années, qu’il avait par deux fois éludée. Un programme tout entier dédié aux Stabat Mater italiens oubliait celui de Vivaldi, et son seul disque monographique consacré au Prêtre Roux se fardait du prétexte de la virtuosité en rassemblant des cantates d’apparat.

Enfin, le voilà face à face avec ce Stabat Mater qu’on écoute toujours selon Aafje Heynis. Même le disque si célébré de James Bowman et de Christopher Hogwood ne nous en avait pas détourné. Avec Philippe Jaroussky, Heynis tient enfin son pendant masculin.

La flexibilité de la ligne portée par les mots jusqu’en sa moindre inclinaison, le sostenuto mis aux déclamations, l’abandon du chant à l’émotion, toujours mesuré, toujours modelé dans le souffle, la subtilité des accents, tout ici émeut et transporte. On ne loue plus le timbre subtilement doré de cette voix qui a gardé les mystères de l’enfance. Contre-ténor ? Sopraniste oui, hors du temps comme seul avant lui sût l’être Alfred Deller.

Avec cela une manière de préférer la poésie au dolorisme. Cette Pieta ne se lamente pas, elle rêve. Les couleurs de l’Ensemble Artaserse se fondent dans l’étoffe de cette voix irréelle. Tout le disque est de la magie pure, il en émane une tendresse que l’Eia Mater et la vocalise sur fons amoris résument.

Mais qu’Erato nous entende, on veut désormais Philippe Jaroussky comme il est fondamentalement, poète, musicien. Purcell et Dowland lui ouvrent les bras. Stop à l’encombrante virtuosité, il faut à cet artiste absolu des œuvres absolues.

LE DISQUE DU JOUR

cover jaroussky vivaldi pieta erato
Antonio Vivaldi (1678-1741)
« Pieta »

Stabat Mater, RV 621
Salve Regina, RV 618
Motet « Clarae stellae scintillate », RV 625
Motet « Filiae maestae Jerusalem », RV 638
Motet « Longue mala, umbrae, terrores », RV 629
Concerto pour cordes et basse continue en ut mineur, RV 120
Gloria en ré majeur, RV 589 (extrait : Domine Deus)

Philippe Jaroussky, contre-ténor
Ensemble Artaserse,

Un album du label Erato 0825646257508

Photo à la une : (c) (c)Ribes & Vo Van Tao