Falsetto profundo

Le registre de l’androgyne a mué. La faute à Cecilia Bartoli. Alors que Deller ou Oberlin conservaient leurs souvenirs d’enfants dans des voix se rêvant soprano, la jeune génération de falsetisttes avoue son faible pour le mezzo, voir le contralto.

Meilleur sujet de ce nouveau registre, Franco Fagioli qui nous revient avec un portrait de Nicola Porpora. Son précédent album dédié à Caffarelli avait bluffé la critique et emporté un franc succès auprès du public. D’abord par une virtuosité crâne et une variété d’expressions dans les vocalises clouante, mais surtout par une ressemblance : ce timbre, ces phrasés, ces affects, cette ardeur rappelaient à s’y méprendre ceux de Cecila Bartoli. L’album dévolu à Caffareli faisait entendre des œuvres marquantes de Hasse, Vinci, Leo, Pergolèse qui l’avaient vu briller, avec déjà un air de la Semiramide riconosciuta de Porpora.

Cette fois, le disque est monographique, car Porpora composa d’abondance et d’abord pour lui-même. Le mimétisme avec Bartoli retiendra encore l’attention, mais il ne doit pas divertir d’un objet musical splendide, cumulant des arias éloquentes dans le feu de la virtuosité comme dans la désolation des lamentos. Porpora était donc un compositeur de génie ? Sommet de l’album, Alto giove tiré de Polifemo où le cyclope implore Jupiter de lui rendre Galatée. Et quels graves !

Dans l’air d’Adalgisa, pour S’asconde il sole in mar, ce n’est plus Bartoli, mais Marylin Horne ! La voix velours et soie de Fagioli a encore pris de l’ampleur dans le bas medium, et l’artiste devient de plus en plus poète, d’autant qu’il est entouré ici par une Academia Montis Regalis qu’Alessandro de Marchi chamarre et fouette à loisir.

On retrouve notre alto profundo dans une œuvre hybride d’Antonio Caldara, La concordia de’ planeti, un opéra allégorique construit sur une joute entre les Dieux de l’Olympe : qui sera la gardienne de la concorde des planètes (et donc de l’ordre de l’univers) ?

Jupiter met fin à la querelle et tonne que ce sera l’Impératrice Élisabeth, puisque l’œuvre est écrite pour célébrer son anniversaire. Le style de Caldara, entre Venise et Vienne, ne s’est jamais départi de son brio, à l’orchestre comme aux voix. Les maîtres de l’Olympe sont irrésistibles, Fagioli fait son Jupiter virtuose et abrupt, délivrant un « Questo di cosi giocondo » étourdissant, mais la vraie souveraine de la soirée, vivement emmenée par Andrea Marcon, reste la Vénus de Delphine Galou, émouvante et virtuose. Œuvre de pure brio, musique d’hommage, mais la fête est certaine.

LES DISQUES DU JOURcover franco fagioli porpora naive

PORPORA (1686-1768)
Il Maestro – Airs d’Ezio, Semiramide riconosciuta, Didone abbandonata, Meride e Selinunte, Il verbo in carne, Il ritiro, Polifemo, Carlo il calvo, Vulcano
Franco Fagioli, contre-ténor
Academia Montis Regalis
Alessandro de Marchi, direction

cover caldara la concordia de pianeti marcon archiv CALDARA (1670-1736)
La concordia de’ planeti
Delphine Galou, soprano
Franco Fagioli, contre-ténor
Veronica Cangemi, soprano
Ruxandra Donose, mezzo-soprano
Daniel Behle, ténor
Carlos Mena, contre-ténor
Luca Tittoto, basse

La Cetra
Andrea Marcon, direction

Un album du label Naïve V5369 (Porpora)
Un album de 2 CD du label Archiv Produktion 4793356 (Caldara)

Photo à la une : (c) DR