Piano des Amériques

Plongée pour partie dans les années cinquante, au travers de deux compositeurs latino-américains, l’Argentin Alberto Ginastera (1916-1983) et le Cubain Carlos Fariñas (1934-2002), deux personnalités antithétiques. Le premier connut la gloire internationale tôt et choisit l’exil afin de poursuivre son œuvre, le second, alors même qu’il était considéré comme un avant-gardiste dût demeurer à Cuba sous le régime castriste, ce qui ne l’empêcha d’y créer un laboratoire de musique électro-acoustique dans les années 1980. On est progressiste où on ne l’est pas.

Ginastera composa sa Première Sonate à l’intention de Johana Harris, l’épouse du compositeur Roy Harris. Œuvre à la Janus. Un mystère magique hante l’Adagio, typique d’une certaine veine silencieuse chère à Ginastera, alors que les trois mouvements vifs sont tous des ostinatos à base de toccatas. Musique motoriste, virtuose, qui influencera durablement les minimalistes américains et dont le piano lumière de Gabriel Urgell Reyes ne fait qu’une bouchée. La plénitude de son toucher empêche tout effet mécanique, la musique respire, vibre, s’anime et n’assène jamais – la puissance dans le timbre.

Même sens du flot rythmique dans les Danzas argentinas de 1937, second opus du compositeur qui établit alors sa renommée par-delà les frontières de son pays. Pour la Suite de danzas criollas de 1946, le pianiste cubain retrouve le toucher affuté et lumineux qu’y mettait son dédicataire Rudolf Firkusny : mouvement, poésie, tout y est sur les pointes et pourtant en son dense.

Mais aussi spectaculaires que sonnent les œuvres de Ginastera, celles de Carlos Fariñas sont la surprise de ce disque. Le Premier Cahier des Sones sencillos datés de 1954-55 montrent une utilisation réflexive du clavier, jusqu’à un presque-rien du son, dans la première pièce notamment dont Gabriel Urgell Reyes dose le plus infime pianissimo en le timbrant.

Le Second Livre nous transporte dans les années soixante : Fariñas voyage à l’Est, Moscou, commence ce Cahier dans une esquisse de carillon avant de développer un chant amérindien, puis Berlin avec le 7è Son (ndlr, page de 1998, testamentaire, mise en appendice des deux recueils, et ici en première mondiale). Musiques de la nostalgie, troublantes, tout comme Alta Gracia, un tango noté en 1985, au premier regard une improvisation, mais en fait une réflexion presque triste, pleine d’interrogations, au charme doux-amer.

Le pianiste conclut par une œuvre de sa plume, une méditation pianissimo, son mode d’expression favori. Disque troublant, d’un artiste qu’on aimera suivre.

LE DISQUE DU JOUR

cover_meeting_ginastera_1 GINASTERA
Sonate pour piano No. 1, Op. 22 ; Suite de danzas criollas, Op. 15 (1946, rév. 1957);
Danzas argentinas, Op.2

FARINAS
Alta gracia
Siete Sones sencillos

URGELL REYES
De l’aire d’un lloc llunyà

Gabriel Urgell Reyes, piano

1 CD Artalinna ATL-A005

Photo à la une : (c) Jean-Baptiste Millot