Jean Martinon (I) : Mozart grandiose à Paris, en 1956

Premier épisode d’une série en quatre parties sur les années Philips de Jean Martinon

THE PHILIPS YEARS, 1953-1956 (I) :
MOZART GRANDIOSE A PARIS, EN 1956

La carrière de Jean Martinon dans les studios commença après la Seconde Guerre Mondiale, avec l’Orchestre Philharmonique de Londres. Il enregistrait en 1947, dans le légendaire Kingsway Hall, le Concerto No. 20 de Mozart (avec Monique Haas, les 13-14 janvier), Le Tombeau de Couperin de Ravel (le 13 mai) , l’air d’adieu de l’opéra La Pucelle d’orléans de Tchaïkovski (avec Eugenia Zareska, le 14 mai) puis quelques mois plus tard, le 15 décembre 1948, la Suite Pastorale de Chabrier. Non réédités à l’ère du compact disc, ces débuts prometteurs restent les témoins d’une carrière alors en plein essor au Royaume-Uni. Entre 1947 et 1950, Martinon est en effet le premier chef de l’Orchestre Symphonique de la Radio de Dublin, tout en répondant aux exigences de chef associé à l’Orchestre Philharmonique de Londres, entre 1946 & 1948.

martinon box decca coverPendant les années 1950, il continue de diriger les plus prestigieux orchestres anglais (LPO, LSO), notamment dans le cadre d’une collaboration avec les équipes de DECCA, de laquelle se dégage une excellente Seconde Symphonie de Borodine, ou de plus rares Chostakovitch. Ce legs contient d’ailleurs aussi, chose plus inattendue, une extraordinaire Pathétique avec les Wiener Philharmoniker, en 1958 – intense, à connaître !

La réédition complète il y a quelques années de ces enregistrements DECCA (voir la fiche produit sur Amazon) a oblitéré le legs voisin de Martinon chez Philips (1953-1956), d’une qualité d’ensemble supérieure. Seuls ses enregistrements RCA datant de quelques années plus tard à Chicago (1964-1968), et méconnus aujourd’hui, atteignent une plénitude orchestrale comparable, et une forme de volupté, toute emplie de fébrilité, assez typique du chef français.

martinon mozart philips LP coverEntre 1951 et 1957, Jean Martinon est le Président de l’Association des Concerts Lamoureux, l’un des meilleurs orchestres de l’époque en France avec le National de la Radiodiffusion française ; et pour ces sessions Philips, il se distingue dans des répertoires différents [des sessions Decca]. Petit tour d’horizon de ce legs Philips en quatre épisodes, à l’occasion de leur réédition complète par Universal Australie.

martinon_photos_01295Révélation durable que les trois Symphonies de Mozart, Nos. 31 à 33, gravées en 1956, pendant le grand bicentenaire Mozart du XXe siècle, et totalement oubliées jusqu’à cette édition « Eloquence ». Martinon y rayonne littéralement. Il y respire avec une facilité déconcertante, tout comme chez Haydn. Du genre symphonique classique, Martinon appréhende avec une acuité admirable l’énergie viscérale, et la sève épicurienne. De ce XVIIIe siècle finissant, le chef français transpose le désir infini pour le théâtre, et le lyrisme solaire. Sommet de l’art d’interpréter, voici des témoignages où la musique « dit » autant qu’elle « exprime », s’équilibre idéalement entre « discours » et « sentiment ».

Techniquement, l’Orchestre des Concerts Lamoureux est d’une vivacité admirable : articulations aussi claires que précises, limpidité de la ligne du chant, texture sonore en perpétuelle ébullition. Tout au long de ces sessions Mozart, Martinon témoigne d’une souplesse confondante, tel dans ce Finale de la Symphonie No. 33, où, sa baguette, si elle n’est pas sans oser certains légers rubatos, libère constamment le chant, ne brise jamais la grande ligne ; jamais non plus le charme ou l’esprit ne se dissipe. Connaît-on pareille Symphonie « Paris », qui prenne ainsi les contours d’un vrai mini-drame, sans paroles, constamment pétri de l’instantanéité inhérente à la scène ?

Quoi de plus naturel aussi pour un homme si attentif aux textures sonores que Martinon, compositeur issu de l’impressionnisme, disciple doué de Roussel (lui-même coloriste et formidable architecte), que de faire éclater en une seconde le génie des timbres de Mozart : rarement les cors auront rehaussé ainsi la couleur harmonique de l’ensemble. Par le souffle qui imprègne les phrasés, le contour des lignes, ces Mozart laissent déjà entrevoir en définitive le chemin du XIXe siècle, et ce surprenant désir d’étendre l’architecture, les dimensions d’un genre.

Photo : (c) DR
(1) Les plus chanceux d’entre vous peuvent avoir découvert au gré de recherches sur le web des témoignages live de Martinon avec le Chicago Symphony Orchestra. Parmi ceux-là, une ouverture du Mariage secret de Cimarosa (7 octobre 1965), ou encore un Concerto brandebourgeois No. 4 de Bach (2 juin 1966), confirment les hautes affinités de Martinon avec les répertoires du XVIIIe siècle. Son style de direction, à la fois distanciée et sensible, se coulait moins naturellement dans l’univers farouche de Beethoven.