Rimski-Korsakov par Ansermet (I)

Ernest Ansermet grava Schéhérazade de Rimski-Korsakov à trois reprises, deux fois à Paris, en 1948 et 1954, la dernière à Genève en 1960. Il s’agit ici de la seconde, qui constitua également la première prise de son stéréophonique de Decca à Paris (décidément, Ansermet est l’homme des premières en ce domaine!).

Cette deuxième interprétation avec la Société des Concerts du Conservatoire est totalement différente de la gravure avec L’Orchestre de la Suisse Romande, d’une finesse incomparable dans les accentuations, les phrasés, et aussi d’une liberté imaginative incroyable – les solos si expressifs, inoubliables, de Lorand Fenyves.


L’Orchestre de la Suisse Romande, en 1960, respirait comme personne cette musique, avec une simplicité et un naturel désarmants, d’autant que la prise de son, d’une beauté étourdissante, contribue fortement à suggérer l’univers aux frontières infinies voulu par le chef. Comme dans un rêve…

La version parisienne s’attache avant tout au caractère symphonique plus que narratif de la musique : Ansermet suit au plus près les volontés du compositeur, qui revendiquait l’aspect « musique pure » de sa partition. Cette vision plus distanciée, moins scintillante, conserve une force étonnante. Certains avant nous y ont remarqué le caractère extrêmement chorégraphique de la direction, très attachante également par sa simplicité, son refus de la surcharge et son incessante tension. En témoigne un magnifique troisième tableau (Le Jeune Prince et la Jeune Princesse). Le violon très physique de Pierre Nerini participe de cette conception en définitive acérée et moderne, regard tout à fait enrichissant sur une partition archi-célèbre.

Quant à la version de Schéhérazade enregistrée les 1er et 2 juin 1948 à La Maison de la Mutualité (disponible chez Dutton), elle concilie sans doute les perspectives affinées dans les deux versions postérieures : l’aspect rythmique, extrêmement dynamique, de la version 1954, allié à une virtuosité orchestrale inouïe en termes d’homogénéité et de justesse instrumentales, et la science du récit propre à l’ultime version.

Le violon solo de Pierre Nerini s’avère déjà très impressionnant ; l’orchestre en son entier est d’ailleurs dans un jour de gloire – écoutez les cuivres ! D’une souplesse musicale exemplaire, cette première version, qui date de la période de maturité d’Ansermet, respire le grand air, et dessine un espace de liberté où tout est possible.

En complément de son album, Decca Australie a ajouté la Suite du Coq d’Or, enregistré en octobre 1952 lors des mêmes sessions que le Capriccio espagnol (cf. 480 0827), et inédit absolu en CD.

Une interprétation haute en couleurs, d’une immense finesse (Le Roi Dodon et le champ de bataille), très équilibrée, à la fois crue, naturelle et incisive. L’un des très grands témoignages de l’art du chef suisse.

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