Extraordinaires Sibelius & Rachmaninov d’Ansermet (1963, 1954)

A ne pas mettre entre les mains des cœurs fragiles. Depuis nos précédents articles, notre enthousiasme vis-à-vis de la stupéfiante Quatrième de Sibelius d’Ansermet et de l’orchestre genevois en 1963 ne s’atténue pas. Les interrogations fusent : comment peut-on donner une vision aussi rauque et noire avec un orchestre si naturellement lumineux et ensoleillé ? Ecoutez les Brahms des mêmes sessions et le début de Sibelius !, … le monde a basculé. Comment Ansermet arrive-t-il à suggérer cette impression de malaise psychologique croissant ? Le tempo très modéré du dernier mouvement n’en est pas la seule explication. Le travail du chef sur les couleurs, les textures et les oppositions orchestrales est prodigieux de bout en bout, tel ce premier accord qui installe d’emblée un climat d’incertitude harmonique inoubliable – l’oreille y perçoit méticuleusement tous les instruments employés (ah, les bassons français!).

L’auditeur comprend parfaitement dans cet art du flottement expressif révélé par nos musiciens suisses que Sibelius ne pouvait raisonnablement continuer dans la voie lancée par cet ovni orchestral, puis nous vient le regret que le chef n’ait pas souhaité graver les autres œuvres du Finlandais qu’il possédait à son répertoire, par exemple En Saga ou la Symphonie n°7 (Decca a raté sa prospection sibélienne…), car les deux autres partitions ici présentes montrent un même degré d’adéquation entre musique et interprètes. Tapiola pastoral, brut, fébrile et d’une tension rythmique confondante. L’une des références aux côtés de Karajan, Hannikainen ou Sargent.

La Deuxième Symphonie, plus classique, parfaitement architecturée, parfois rhapsodique, bénéficiant toujours des couleurs extrêmement fraîches de l’Orchestre de la Suisse Romande, révèle déjà toute la modernité de l’orchestration sibélienne, souvent en éclatements et oppositions frontales (Tempo andante, ma rubato), et la direction d’Ansermet s’avère d’une suprême élégance dans le Finale, grandiose et émouvant. Sans doute peu de chefs d’orchestre à son époque (Sir Malcolm Sargent, John Barbirolli, Hans Schmidt-Isserstedt ?), ont traduit le message sibélien avec une telle acuité.

Autre indispensable, l’interprétation dramatique, intense, voire tragique, de L’Ile des Morts de Rachmaninov, en 1954 avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. D’une transparence orchestrale arachnéenne, d’un souffle marin irrésistible, cette interprétation – l’une des plus méconnues de la discographie – se hisse sans nul doute aux cotés des plus fameuses

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