C’est entendu : de sa viole de prophète, Jordi Savall aura réinventé Marin Marais. Se doutait-il que son travail longtemps solitaire ouvrirait la voix à cette renaissance de cet instrument, renaissance dont Marais restera toujours l’heureux bénéficiaire Continuer la lecture de Subtilité
Archives de catégorie : Focus
Concert Department-18
Je crois bien que personne n’avait tenté cette mise en miroirs – et aussi en abîmes – entre Federico Mompou et Maurice Ravel. Adossant parmi les pages les plus lumineuses du Catalan deux opus les plus volatiles, les plus chargés d’énigmes et de suspensions que Ravel ait écrits pour son piano, Julien Brocal joue l’ensemble en doigts déliés, toucher–plume où s’exhaussent des arcs-en-ciel de cristal.
Quelle lumière dans ce piano, même dans les torpeurs de Oiseaux tristes, et quel piano, qui porte loin le son en l’affinant toujours, le Steinway étiqueté Concert Department -18. Celui de Vladimir Horowitz, rien moins, dont Eugen Istomin hérita, et que jouèrent pour quelques disques ou quelques concerts Rudolf Serkin, Leonard Bernstein.
L’équilibre de ce piano est singulier : basses impondérables toujours dans la résonance, médium clair et ample, aigus nacrés, sans aucune dureté, qui continuent à briller dans l’harmonie, et que Julien Brocal manie avec une délicatesse extrême, composant les timbres avec quelque chose d’onirique dans la conduite des phrasés, et jusque dans le flot des mesures qu’on ne voit plus tant les paysages les ont remplacées.
Ses Miroirs sont magiques à force d’apesanteur et de suggestions, son Alborada, si vive, un modèle qui évite le portrait pour essentialiser une sérénade sans aucun grotesque et sa Sonatine épurée jusqu’au fragile, toute en gris colorés, a quelque chose d’impondérable même lorsque son clairon funèbre s’esquisse dans le troisième mouvement.
Le poète parle tout autant dans les Paisajes et dans les Charmes de Mompou, mêlant dans leurs rêveries de cristal l’idée même du silence, dans le son-même des notes, secret d’une musique qui s’absente d’elle-même pour mieux se saisir de l’auditeur, où la suggestion serait une finalité. À la fin de l’album, Julien Brocal ajoute sa Nature morte, petit tombeau énigmatique où un oiseau triste danse seul une pavane, que le Catalan aurait pu rêver.
LE DISQUE DU JOUR
Reflections
Federico Mompou
(1893-1987)
Paisajes
Charmes
Maurice Ravel (1875-1937)
Miroirs, M. 43
Sonatine, M. 40
Julien Brocal (né en 1987)
Nature morte
Julien Brocal, piano
Un album du label Rubicon RCD1008
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Se souvenir de Firkušný
L’héritage discographique de Rudolf Firkušný, dispersé entre plusieurs labels, risque hélas de sombrer dans un relatif oubli. Quasi plus aucun de ses Capitol reparus en CD aux États-Unis ne se trouve, Sony tarde à regrouper Continuer la lecture de Se souvenir de Firkušný
Mozart des esprits
Leur fulgurante intégrale des Quintettes avec l’alto de Nobuko Imai avait bouleversé ma discographie de ces œuvres, voici les Auryn arpentant de leurs archets vigoureux les Six Quatuors dédiés à Haydn.
Commencez par le « Dissonances » Continuer la lecture de Mozart des esprits
Jerusalem
Voici trente ans, Charles Brett, Noémie Rime, Howard Crook et Nathalie Stutzmann enregistraient les sévères Leçons de Ténèbres de Michel Lambert, celles datées de 1689. Quel contraste avec le Lambert des Airs de cour, si charmeur, si alerte, si tendre. Tout un autre monde se découvrait, qui rappelait l’ambivalence du Grand Siècle.
Un autre recueil de ces même Leçons, premier cycle remontant aux années 1662-1663 restait à dormir dans les bibliothèques, effrayant les rares musicologues qui s’étaient penché sur ces portées souvent énigmatiques. Marc Mauillon et ses amis les restituent aujourd’hui dans leur intense piété, leur splendide nudité qu’accentuent encore un continuo discret où les affects de la voix, la puissance sereine de la parole, trouvent comme un miroir.
L’identité vocale de Marc Mauillon, chantre qui ose des ornements en mélisme où le grégorien semble se survivre, trouve dans ces musiques un terrain d’élection : nul doute que la spiritualité de son chant, si sensible dans ces Lambert, aura profité de son long voyage chez Guillaume de Machaut : on entend ici toute une culture à revers dont la piété du Grand Siècle, son style sévère, son dénuement, se font inconsciemment l’écho.
Qui entrera ici, dans cette nef dépouillée, devra abandonner l’espoir de toute séduction, tant le chanteur et ses amis instrumentistes – plaisir de retrouver au clavecin et au positif Marouan Mankar-Bennis dont le récital Dandrieu me charme tant par ailleurs – s’immergent dans le sens des mots et des notes.
Mais pourtant l’ascèse est douce, une spiritualité rayonnante en découle, hypnotique jusque dans les ponctuations instrumentales empruntées à la viole de Nicolas Hotman ou au luth d’Ennemond Gaultier dont le désarmant Tombeau de Mézengeau referme l’album.
LE DISQUE DU JOUR
Michel Lambert (1610-1696)
Leçons de ténèbres, 1er cycle (1662-1663)
Marc Mauillon, taille
Myriam Rignol, viole de gambe
Thibaut Roussel, théorbe
Marouan Mankar-Bennis, clavecin
Un album de 2 CD du label harmonia mundi HMC 902363.64
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