Ténèbres en lumière

Lorsqu’en 1979 parurent coup sur coup deux intégrales des Leçons de ténèbres de Marc-Antoine Charpentier signées par René Jacobs et Jean-Claude Malgoire (avec Helen Watts, si émouvante, il serait temps de les voir reparaître en CD, elles ne connurent qu’une fugitive édition en microsillon), le visage du plus italien des compositeurs du Grand Siècle en fut à jamais changé.

Charpentier écrivit ici parmi ses chefs-d’œuvre les plus émouvants, mêlant avec un art consommé l’héritage grégorien avec une théâtralisation du texte des Lamentations de Jérémie toute italianisante en l’ornant d’un continuo instrumental foisonnant. Quelques versions ont paru depuis ces pionniers sans jamais les remettre en cause, voici que Jonathan Cohen aborde lui aussi ce répertoire avec son opulent Arcangelo ; mais il herborise dans les ultimes Leçons de ténèbres, non pas celles que Jacobs ou Malgoire avaient gravées, écrites pour l’Abbaye-au-bois où la mère Desnots inspira à Charpentier des œuvres à l’ambitus extrêmement étendu (une leçon était notée en clef d’ut), mais celles tardives et connues depuis plus longtemps.

Merveille de l’ensemble, la Leçon du Mercredi Saint (H. 120) dont André Vessières avait laissé une admirable lecture aux Discophiles français. Il fallait bien la sévérité stylistique et le génie expressif de Stéphane Degout pour lui succéder, et avec quel art, quelle éloquence, quelle piété, quel latin en prononciation française si naturelle ! Il en magnifie le texte, le portant en plein corps de sa voix aux harmoniques profondes, et fait de même avec l’autre Leçon du Mercredi Saint H. 123, plus lumineuse, où il laisse paraître une vocalité plus ultramontaine.

La Seconde Leçon du Mercredi Saint (H. 138) demande un ténor, Howard Crook pour Louis Devos y multipliait les affects avec l’art qu’on lui sait, Samuel Boden y chante d’abord le texte dans une certaine retenue, laisse voir la grande ligne qu’y écrit Charpentier, ce qui n’est pas si aisé que cela, mais les amis d’Arcangelo l’y aident à merveille.

Le disque s’ouvre sur les somptueuses Litanies de la Vierge que Jordi Savall jouait dans un recueillement alors que Jonathan Cohen les dore à l’or fin, musique enivrante aux polyphonies déliées, vrai trésor de la musique d’église du Grand Siècle et les complète par le Magnificat à trois voix dont la basse obstinée assoit une science de la composition sidérante, décidément très italianisante, alors que l’Ouverture pour le sacre d’un évêque, avec ses airs de chaconne, semble tirée d’une tragédie lyrique.

Disque merveilleux, inspiré, qui fait espérer une suite, aussi bien chez le Charpentier des Leçons que chez celui des grandes messes ou des scènes sacrées.

LE DISQUE DU JOUR

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Litanies de la vierge, H. 83
Magnificat à 3, H. 73
Ouverture pour le sacre d’un évêque, H. 536
Première leçon de ténèbres du Mercredi saint, H. 120
Seconde leçon de ténèbres du Mercredi saint, H. 138
Troisième leçon de ténèbres du Mercredi saint, H. 123

Anna Dennis, soprano
Zoë Brookshaw, soprano
Anna Harvey, mezzo-soprano
Samuel Boden, ténor
Thomas Walker, ténor
Stéphane Degout, baryton
Ashley Riches, basse
Arcangelo
Jonathan Cohen, direction

Un album du label Hypérion CDA68171
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Photo à la une : © DR