Kriegzeit

Choix terrible mais apparemment assumé : regrouper les gravures beethovéniennes que Kempff engrangea pour Grammophon – (pas encore Deutsche) – durant la guerre. Beethoven fut au quarantenaire, revenu de ses années de virtuose par nécessité – il l’enregistra avant, il l’enregistrera après – au sens propre comme au sens figuré, une planche de salut : c’est son Allemagne sécrète et éternelle qu’il y célébrait de son clavier volatile, c’est la même Allemagne qu’il viendra illustrer, paradoxe invité de l’Occupant sous les statues d’Arno Breker au Palais de Chaillot, jouant à quatre mains avec Alfred Cortot devant un parterre d’officiers de l’armée du Reich et un auditoire d’artistes français choisis (les photos existent), leur mettant sous le nez la vraie Allemagne, ce qui fit jaser et lui colla un tant soit peu l’étiquette nazie, mais guère pour les Français qui l’Occupation passée et la guerre gagnée l’accueillirent sans ciller, sachant que son Beethoven était celui de Goethe et qu’il pouvait jouer Fauré comme jamais Cortot ne le fit à ce degré de magie et d’intimité.

Donc voilà cette somme de guerre, et d’ailleurs vue avec le recul des perspectives historiques, plutôt de résistance, où paraît la plus belle sonorité de piano possible que le clavier que Beethoven rêva, la seule qui puisse jamais se comparer à celle que Schnabel, damant le pion à tous, fixa à Londres dans les années trente, exilé déjà, et dans les mêmes termes d’allégement, de vocalité, de fulgurance, une somme incomplète qui vaut bien mieux que toutes les sommes, car l’esprit de Beethoven, le génie personnel (discret et impérieux pourtant) de l’interprète s’y fondent dans un discours absolument naturel et évidemment émouvant, l’air de rien.

Les transferts sont « bruts », les surfaces bruissent mais ce piano de magicien est tout entier là, versé dans ses numéros de grande illusion. C’est infiniment précieux, incarné, vivant comme tout ce qui est pleinement historique devrait l’être et succède chez le même éditeur à un premier coffret regroupant les autres enregistrements beethovéniens de Kempff au temps du 78 tours.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827 )
Sonate pour piano No. 2 en la majeur, Op. 2, No. 2
Sonate pour piano No. 9 en mi majeur, Op. 14, No. 1
Sonate pour piano No. 10 en sol majeur, Op. 14 No. 2
Sonate pour piano No. 11 en si bémol majeur, Op. 22
Sonate pour piano No. 4 en mi bémol majeur, Op. 7
Sonate pour piano No. 5 en ut mineur, Op. 10 No. 1
Sonate pour piano No. 6 en fa majeur, Op. 10 No. 2
Sonate pour piano No. 7 en ré majeur, Op. 10 No. 3
Sonate pour piano No. 8 en ut mineur, Op. 13 « Pathétique »
Sonate pour piano No. 12 en la bémol majeur, Op. 26
Sonate pour piano No. 14 en ut # mineur, Op. 27 No. 2 « Clair de lune »
Sonate pour piano No. 21 en ut majeur, Op. 53 « Waldstein »
Sonate pour piano No. 13 en mi bémol majeur, Op. 27 No. 1 « Quasi una fantasia »
Sonate pour piano No. 15 en ré majeur, Op. 28 « Pastorale »
Sonate pour piano No. 18 en mi bémol majeur, Op. 31 No. 3
Sonate pour piano No. 23 en fa mineur, Op. 57 « Appassionata »

Wilhelm Kempff, piano

Un coffret de 4 CD du label APR Recordings 7403
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Photo à la une : Kempff âgé – © Susesch Bayat/Deutsche Grammophon