Viol

Un viol en scène par la soldatesque autrichienne aura contraint Kasper Holten, patron de Covent Garden, à présenter des excuses devant un public décidément choqué : Damiano Michieletto aura appris à ses dépends que certaines choses ne se montrent pas si crument au public anglais, du moins à celui du Royal Opera House.

Mais il ne faut pas s’arrêter au parfum de scandale qui a fait la réputation de ce spectacle et aura du moins produit une tension en scène toujours palpable lors de la captation de ce 5 juillet 2015. Le théâtre un peu lâche de Rossini y gagne une urgence qu’il n’aurait pas espéré, sans que la version « historiquement informée » qu’essaie de tenter la nouvelle édition critique de Bartlett y soit pour grand chose : elle coupe abondamment plus d’une page magnifique de l’ouvrage : exit la Prière et le Chœur final de l’Acte I, à l’Acte III, l’air de Jemmy, etc.

Michieletto fait du drame d’Étienne de Jouy et d’Hippolyte Louis Florent un panégyrique de la liberté reconquise placé au XXe siècle dont le vrai héros serait justement Jemmy qui au final plantera un jeune chêne appeler à remplacer celui que l’envahisseur aura déraciné : la Suisse est éternelle, certes, mais l’humanité avant elle. Pourtant, les couleurs du dernier tableau sont bien sombres.

Alors, aller gâcher une si belle parabole, un spectacle aussi léché, aussi pensé avec des idioties comme cette pizza qu’on pose sur la tête de Guillaume Tell en la couronnant d’une pomme… Comme à moi, les bras vous en tomberont plus d’une fois, mais enfin, tout cela se regarde sans relâcher l’attention, probablement à cause de la finesse d’une captation qui donne à l’ensemble un semblant d’élégance tout en respectant la dramaturgie.

Mais il vous faudra composer avec une autre paille : la distribution, déjà éprouvée quelques années auparavant au disque (Warner), n’est absolument pas idéale pour le bel canto romantique dont Rossini voulait brandir l’étendard dans son drame suisse, et seul Gerald Finley triomphe avec bravoure du rôle-titre, sinon une mention spéciale pour le Gesler impeccable de Nicolas Courjal.

La rivale de cette production règne toujours, celle de Graham Vick pour le Teatro Comunale de Bologne à Pesaro, plus ambigüe, mieux chantée (Alaimo formidable de style et de caractérisation dans le rôle-titre, Flórez magique Arnold, et la Mathilde de Marina Rebeka) même si dirigée plus modestement par Michele Mariotti qui se passe heureusement des révisions éditoriales de Bartlett. Mais si vous voulez vérifier le scandale et entendre Finley, c’est ici.

LE DISQUE DU JOUR

Gioacchino Rossini (1792-1868)
Guillaume Tell

Gerald Finley, baryton (Guillaume Tell)
Malin Byström, soprano (Mathilde)
John Osborn, ténor (Arnold Melchtal)
Enkelejda Shkosa, mezzo-soprano (Hedwige)
Sofia Fomina, soprano (Jemmy)
Eric Halfvarson, basse (Melchtal)
Nicolas Courjal, basse (Gesler)
Alexander Vinogradov, basse (Walter Furst)
Michael Colvin, ténor (Rodolphe)
Samuel Dale Johnson, baryton (Leuthold)
Enea Scala, ténor (Ruodi)

Royal Opera Chorus
Orchestra of the Royal Opera House
Antonio Pappano, direction
Damiano Michieletto, mise en scène

Un coffret de 2 DVD du label Opus Arte OA1205D
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Photo à la une : © DR