Le maître des orchestres

Pour Toscanini, il avait formé en un temps record le NBC Symphony Orchestra, titre de gloire qui fit de lui, dans l’imaginaire de trop de mélomanes, un second couteau. Erreur fatale ! Artur Rodziński, né Polonais, éduqué à Vienne par Emil von Sauer, Franz Schalk et Franz Schreker, fut l’un de ces tout grands chefs qui firent dès l’entre deux guerres la gloire des orchestres américains.

Appelé par Stokowski pour l’assister à Philadelphie, il rayonnera sur la vie musicale nord-américaine autant que George Szell – présidant aux destinées du Cleveland Symphony Orchestra dix années durant (de 1933 à 1943), le portant à un niveau technique transcendant – ou que Fritz Reiner : les deux hommes se tenaient en haute estime, se voyant souvent à ChicagoRodzinski dirigeait les saisons lyriques.

Cette triade imposa aux orchestres nord-américains un style tranchant, volontiers moderniste, que Rodziński infusa par ailleurs au New York Philharmonic ; mais si les héritages discographiques de Szell et de Reiner furent choyés par leurs éditeurs respectifs, celui du Polonais, dispersé entre quantités de labels, ne put connaître là même postérité.

Une quantité incroyable d’enregistrements en concert complique encore son legs sonore, mais enfin, c’est la vie musicale classique des États-Unis qu’ils illustrent. Yves Saint-Laurent s’emploie à publier tout ce legs radiodiffusé, témoignage essentiel, alors que Scribendum réunit une partie de la somme discographique engrangée des deux côtés de l’Atlantique.

Coup de tonnerre !

Écoutez seulement l’Ouverture de Guillaume Tell enregistrée avec un orchestre de studio (le Columbia Symphony Orchestra, version New York, rien à voir avec celui West Coast des ultimes enregistrements de Bruno Walter) où le violoncelle de Leonard Rose chante éperdument, quelle poésie puis quel feu ! Mais cette somme illustre d’abord la collaboration tardive qu’il entreprit à Londres avec l’orchestre de Sir Thomas Beecham, le Royal Philharmonic Orchestra, formation virtuose avec laquelle il grava au soir de sa vie, dans des prises de son somptueuses, ses œuvres favorites.

Partout la pureté de son style éclate, ardente, cravachée, d’une élégance folle qui jamais ne renonce à l’expression (un des plus étonnant Casse-noisette de la discographie). Les tempos fous qui signaient son art ne se sont pas émoussés – écoutez ses Dvořák (Danses slaves) ou ses Kodály – mais aussi une certaine manière de faire les Valses de Johann Strauss fils, comme venue d’un autre temps.

Son sens de la couleur éclate dans un disque espagnol resté justement célèbre (mon Dieu, quelles Suites du Tricorne !) et plus encore chez les Russes (la Suite de L’Amour des trois oranges, la Grande Pâque russe), la puissance suggestive de sa direction creuse l’espace d’une des plus incroyables 2e Symphonie de Rachmaninov que je connaisse (cette fois à New York) et lorsque résonnent les grands déploiements d’orchestre de Richard Strauss, dont il fut Outre-Atlantique un interprète zélé autant que Fritz Reiner, comment ne pas saisir son génie du récit en musique ?

Les reports sont formidables, la fête enivrante, cette somme où l’on entend le chef faire ses adieux aux musiciens du Royal Philharmonic rend enfin justice à l’un des tout grand maestros du XXe siècle.

LE DISQUE DU JOUR

The Art of Artur Rodzinski

Œuvres de Albéniz, Beethoven, Bizet, Borodine, Chostakovitch, Dvořák, Falla, Franck, Granados, Grieg, Ippolitov-Ivanov, Kodály, Moussorgski, Prokofiev, Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Rossini, Schubert, Johann Strauss fils, Richard Strauss, Tchaikovski, Wagner

Chicago Symphony Orchestra
Royal Philharmonic Orchestra
New York Philharmonic
Philharmonia Orchestra
Columbia Symphony Orchestra
Wiener Staatsopernorchester

Artur Rodziński, direction

Un coffret de 19 CD du label Scribendum SC807
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Photo à la une : © DR