Sonate Posthume

Encore élève chez Fauré, Ravel écrivit un Mouvement de Sonate qui fascina Enesco. Les deux amis la créèrent puis l’oublièrent. Un mouvement de sonate ? Non, une sonate en un mouvement, en fait un poème où paraît un violon faune, où le piano miroite des paysages. Ravel n’aura jamais été aussi près de Debussy, par les phrases en suspens, la saturation harmonique des atmosphères, la tendresse des inflexions, et surtout par un panthéisme qu’il ne retrouvera absolument que dans Daphnis et Chloé : c’est « son » poème à l’après midi d’un faune. Ces quinze minutes de musique sont géniales à leur façon, tout Ravel y est déjà mais aussi ce qu’il aurait pu devenir s’il n’avait pas été Ravel.

Quelle belle idée a Tobias Feldmann d’ouvrir son second disque (son premier chez Alpha, un précédent album était paru chez Genuin, j’y reviendrai) avec cette perle trop peu courue du répertoire de violon français. Dans l’entretien qu’il accorde à Norbert Horning, le jeune homme passe aux aveux illico : des trois œuvres assemblées ici, c’est l’opus de Ravel qu’il préfère, confiant « qu’elle nous transporte dans un autre monde » : son archet profus, sa main gauche chantante caressent et rêvent, merveille absolue qui murmure et rayonne dans le piano monde de Boris Kusnezow, si idéalement apparié : c’est plus qu’un duo, un vrai couple sonore.

La Sonate endormie, renfermée dans un ultime pli de rêve, j’aurais tant aimé entendre celle de Debussy. Mais non, c’est la Seconde de Prokofiev qui suit, jouée très tendrement, avec quelque chose de désinvolte qui est le charme même. Tempo giusto, cantabile diseur, et lorsqu’il le faut l’archet danse. Parfait, même si mon cœur bat toujours pour Benjamin Beilman.

La translation vers la Sonate de Strauss, ce poème passionné d’un tout jeune compositeur, est au fond assez aisée, tant Feldmann sait donner de l’élan à cette partition où il faut brûler ses vaisseaux. Son très beau Nicolo Gagliano résonne avec un brin d’héroïsme dans l’acoustique parfaite de la Jesus-Christus-Kirche.

Mais je rangerai le disque à Ravel dont décidément le violon a de la chance : hier Stefan Tarara nous donnait une version définitive de la Sonate de 1927, aujourd’hui Tobias Feldmann se trouve dans la Sonate de jeunesse.

LE DISQUE DU JOUR

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Maurice Ravel (1875-1937)
Sonate posthume pour violon et piano en la mineur, M. 12
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour violon et piano No. 2 en ré majeur, Op. 94a
Richard Strauss (1864-1949)
Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur, Op. 18

Tobias Feldmann, violon
Boris Kusnezow, piano

Un album du label Alpha Classics 253
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Photo à la une : © Kaupo Kikkas