Rimski-Korsakov – Ansermet : un orchestre aux saveurs crues

Ce double album contient des gravures célèbres d’Ansermet dans la musique de Nikolaï Rimski-Korsakov. De la suite symphonique Antar, véritable chef-d’œuvre du compositeur russe, le chef suisse donne une interprétation intense et dramatique, étonnamment noire et tragique – écoutez les cuivres. Ce furent en réalité les premières sessions stéréophoniques de la compagnie anglaise. L’idée en revient au responsable des opérations techniques des studios de West Hampstead, Arthur Haddy, qui souhaitait enregistrer les prochaines sessions de la Suisse Romande au moyen d’un nouveau système de captation du son. Il convia l’ingénieur Roy Wallace, réputé pour sa compréhension de ces toute récentes techniques, à se rendre en Suisse pour la direction opérationnelle des séances d’enregistrement. Quelques semaines plus tard, Ansermet, écoutant les prises d’Antar (le 13 mai 1954), fut enchanté du résultat final : « C’est magnifique, remarquable, comme si j’étais resté tranquillement à mon bureau ! », dit-il, et en dix ans, les stéréophonies de Decca atteindront un niveau encore aujourd’hui insurpassé.

Entre 1956 et 1957, Ansermet enregistre de nombreuses œuvres de Rimski-Korsakov : l’Ouverture de Nuit de Mai, bouillonnante et active, la Suite de Tsar Saltan, dont le chef, grand coloriste, rend toute la dimension crue et moderne, et qui précède une interprétation frétillante du Vol du Bourdon. Ansermet livre aussi une vision de La Grande Pâque russe d’une beauté sidérante, réflexion pointue sur la portée évocatrice et émotionnelle de l’art orchestral de Rimski-Korsakov.

Avec une simplicité désarmante et une extrême caractérisation des pupitres, Ansermet peut révéler toute la finesse des combinaisons sonores. Des passages en témoignent avec acuité, tels cette fin du solo de violoncelle vers 1’25, au moment des motifs tour à tour descendants et ascendants de flûtes, juste avant l’appel des cuivres, ou celui un plus loin, vers 4’23, quand les traits de harpe bordent une matière cordes-bois d’une transparence tout aussi inouïe. Une interprétation intelligente, sensible, et d’une constante allégresse.

Ansermet, poète de la couleur, sculpte et cisèle la suite de Nuit de Noël, quand il assume l’acte révolutionnaire de Doubinouchka. Sadko et La Jeune Fille de neige paraissent moins convaincants, même si le chef retrouve ici ou là une flamme indéniablement séductrice, voire terrifiante. En octobre 1952, Ernest Ansermet grave au Victoria Hall le Capriccio Espagnol. Le chef y met des couleurs, une poigne et un panache (Fandango) et demande également à ses instrumentistes des phrasés difficiles et subtils (début des Variazioni pour le pupitre des cors). De cette direction se dégage un sens indéniable de l’atmosphère – les Variazioni restent très inventives et mobiles de ce point de vue. Pourtant le résultat global ne comble pas totalement ; certaines transitions manquent de souplesse, et le violon solo de charme, ou à d’autres moments de simplicité (Alborada).

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