Moussorgski, les Tableaux : l’univers rugueux d’Ansermet

En 1958, pour les sessions traditionnelles du printemps au Victoria Hall, qui ont lieu cette année-là entre le 1er et le 23 avril, Ernest Ansermet décide d’enregistrer notamment les Tableaux d’une exposition de Moussorgski dans l’orchestration de Ravel, ainsi que La Valse de ce dernier. Le chef était apparemment mécontent du résultat, et ces bandes n’ont jamais été publiées ; le directeur de la Suisse Romande refit donc plus tard, en novembre 1959 les Tableaux, et, d’une suprême manière en avril 1963, l’œuvre de Ravel.

Les derniers enregistrements stéréophoniques d’Ansermet dans les œuvres de Moussorgski étonneront par la largeur des tempos, la majesté de la direction qui révèle alors la face noire, puissante et russe des œuvres. Ces enchantements orchestraux ne pâtissent-ils pas cependant d’un manque de diversité dans les climats ou de souplesse dans les transitions, en regard du style plus diverse d’un Dorati à Minneapolis (Mercury, le 21 avril 1959) ?

En réalité, il existe deux autres gravures de l’œuvre par Ansermet, l’une en 1947 avec l’Orchestre Symphonique de Londres (Kingsway Hall), et une autre avec L’Orchestre de la Suisse Romande, en 1953. Ce dernier enregistrement demeure selon nous le plus convaincant : des tempos légèrement plus vivaces rétablissent un mouvement naturel dans les phrasés, et l’équilibre orchestral global, plus accompli, comme les couleurs, plus différenciées, permettent une meilleure diversité des atmosphères, de l’ironie à la fantaisie, de l’inquiétude à l’enthousiasme, etc., quand celui de 1959 s’inscrit dans une allure générale quelque peu hiératique (cf. La cabane sur des pattes de poule (Baba Yaga)).

Constat identique avec les deux témoignages d’Une Nuit sur le Mont Chauve, dont le premier fut réalisé également en 1953, avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire (Paris), plus fin, plus piquant, plus violent dans le geste que celui de 1964 avec L’OSR. Ansermet retrouve indéniablement son esprit conteur dans les extraits de la Khovantchina (avril 1964), d’une grande sérénité dans les tempos, mais réellement poétique, grâce notamment aux couleurs de bois infiniment contrastées et expressives.

Un album en définitive préférable, malgré une prise de son plus ancienne, pour l’élégant poème symphonique Tamara de Balakirev (juin 1954), dont Ansermet exploite les perspectives fuyantes et les perpétuels bruissements – le report de l’édition Ansermet japonaise, aux couvertures blanches (2001), possède sans doute plus de profondeur que celui de la série australienne.

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