Les Symphonies du Rideau de fer

Si vous croyez tenir avec le grand cycle des quinze Symphonies de Chostakovitch le journal absolu de la musique sous la dictature de l’URSS, attendez un peu d’entendre les huit Symphonies que Miloslav Kabeláč composa entre 1941 et 1970.

Des œuvres au noir, d’un désespoir sans rémission que vient rédimer une beauté formelle, de l’écriture, des structures, des thèmes. Car il y a chez Kabeláč une volonté de ne pas paraître, ne pas s’imposer, ses nuances sont dans le piano, le mezzo-forte, le discours long, qui se tend peu à peu, le forte qui fulgure ou rayonne mais jamais n’assène. Pourtant, le sentiment d’espace, l’infini sans rémission, sans soleil, de ses magnifiques Symphonies ne provient pas d’une longueur : toutes tournent autour de la demi-heure, proposent des mouvements scindés, on n’est donc pas confronté aux arches ouvertes des symphonies d’Allan Pettersson, même si bien des ponts existent entre l’univers du symphoniste suédois et celui du compositeur tchèque.

Sourd aux modes, maître d’un langage imparable établi d’emblée, Miloslav Kabeláč transfuse dans ses symphonies le drame de la Nation Tchèque, et aussi son désespoir. Après les deux premières Symphonies pour le seul orchestre, la 3e oppose l’orgue aux cuivres et aux timbales, la 5e convoque une soprano que l’orchestre essaye de briser, partition exténuante à force d’émotion qui culmine dans un Alléluia plus effréné que rayonnant, la 6e expose les solos déchirants d’un hautbois perdu, un récitant paraît dans la 7e citant l’Évangile selon St. Jean et l’Apocalypse, réglant tout du tactus de l’œuvre (ici le magnifique Lukas Hlavica) et la 8e ignore l’orchestre, s’en déleste en quelque sorte : soprano, chœur mixte, percussion et orgue font un cosmos de sons inouï, une œuvre radicale, ce que la musique tchèque aura produit de plus aventureux depuis Janáček.

Miloslav Kabeláč est peu présent au disque, Karel Ančerl a gravé la 5e, l’Orchestre de Chambre de Prague la 4e, Libor Pešek la 3e, une version en concert de la périlleuse 8e fut publiée par Praga, Marko Ivanović et les forces de la Radio de Prague sont donc les premiers à enregistrer l’intégrale de ce cycle multiple.

Si leur 8e manque de feu – mais l’œuvre est difficile à tous égards comme le prouve également le live strasbourgeois dirigé par Pierre Stoll et publié par Praga – les autres symphonies parviennent à une perfection, dans la mise en place, dans l’expression, dans le sentiment, dans ce très sombre existentiel, qui me bouleverse.
Découvrez l’acteur majeur du renouveau symphonique tchèque après Martinů. Et maintenant si Supraphon demandait à Marko Ivanović de se pencher sur les cinq Symphonies de Viktor Kalabis ?

LE DISQUE DU JOUR

cover-kabelac-symphonies-supraphonMiloslav Kabeláč (1908-1979)
Symphonie No. 1 en ré
pour cordes et percussions,
Op. 11

Symphonie No. 2 en ut
pour grand orchestre, Op. 15

Symphonie No. 3 en fa
pour orgue, cuivres et timbales, Op. 33

Symphonie No. 4 en la,
Op. 36 « Camerata »
Symphonie No. 5 en si bémol mineur pour soprano et orchestre, Op. 41 « Drammatica »
Symphonie No. 6 pour clarinette et orchestre, Op. 44 « Concertante »
Symphonie No. 7 pour récitant et orchestre, Op. 52
Symphonie No. 8 pour soprano, chœur mixte, percussions et orgue, Op. 54 « Antiphons »

Pavla Vykopalová, soprano
Lucie Silkenová, soprano
Karel Dohnal, clarinette
Lukáš Hlavica, récitant
Chœur Philharmonique de Prague (chef de chœur : Lukáš Vasilek)

Orchestre Symphonique de la Radio de Prague
Marko Ivanović, direction

Un coffret de 4 CD album du label Supraphon SU 4202-2
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Photo à la une : © DR