Le Tombeau de Figueiredo

Il avait inventé un personnage au sein du continuo des opéras de Mozart que René Jacobs revisitait. Dès qu’il jouait son clavecin, on l’écoutait autant que le chanteur : il en disait bien plus ! Moi qui voulais modestement le célébrer vivant, je n’aurais imaginé écrire ce tombeau : Nicolau de Figueiredo nous a quittés ce 6 juillet 2016 à São Paulo, son cœur ayant préféré la syncope à la diastole.

Un personnage ? Des personnages. Au clavecin, c’est toute la galerie de portraits des Nozze di Figaro qui défilaient sous ses doigts, chacun signalé par un motif, s’interférant les uns les autres, créant scène après scène une autre dramaturgie. Ébouriffant, désopilant, d’une culture folle, à en avoir le souffle vingt fois coupé dans la soirée, jusqu’à la sensation, bénigne mais révélatrice, d’un certain parasitage. Si après vous alliez revoir les Nozze sans lui, ce clavecin qui faisait « plouc plouc » tout seul perdu dans la fosse n’était simplement plus possible.

Comme tous les grands artistes, Nicolau de Figueiredo rendait son public addict. L’homme était délicieux mais effacé, le musicien absolument sur une autre planète, en rien un interprète mais en tout un créateur. Le secret de sa vie aura été de faire passer son génie inaperçu. D’ailleurs, si Jan de Winne n’avait pas insisté, son art n’aurait survécu qu’au travers des opéras de Mozart enregistrés par le label harmonia mundi. L’éditeur arlésien, confronté à un artiste d’un tel calibre, et nonobstant les avertissements amicaux de René Jacobs, n’a d’ailleurs jamais songé à lui signer un contrat d’enregistrement.

Mais Jan de Winne insista. Au total, cinq albums auront paru, que j’ai classés juste dans mon « monstredisque » avec ceux de Wanda Landowska, Ralph Kirkpatrick, Gustav Leonhardt, Scott Ross et de Pierre Hantaï – mon petit monde idéal du clavecin.

Brésilien de naissance, élève de Christiane Jaccottet à Genève, mais finalement attiré par la lumière de Gustav Leonhardt et par les doutes et les secrets de Scott Ross – il faut le voir sous la focale de Jacques Renard filmant la classe du claveciniste canadien – il signa en 2006 pour Intrada (qui serait bien inspiré de le rééditer « fissa ») un disque Scarlatti comme venu tout droit de l’Escorial. Ce Soleil Noir ne s’oublie pas.

Puis, changement d’étiquette, nouveaux micros et enfin une prise de son qui rend justice à ce clavecin guitare-mandoline-flûte-hautbois (et même cor parfois) chez lui dans la littérature péninsulaire. Son Fandango de Soler, d’une allure folle et tendre à la fois, montre une imagination de timbres et d’accents, une science des rythmes brisés, une fantaisie dans la rigueur, qui en remontrent à Scott Ross lui-même ; avec une invention dans les strates de l’harmonie qui indiquent l’un des secrets de son art : il comprend la polyphonie jusque dans la verticalité la plus stricte, comme Leonhardt. Un accord selon Nicolau de Figueiredo, ce n’est pas une résolution, c’est strictement une polyphonie rayonnante. Mais les Sonates du même album en disent plus sur cet artiste qui traquait les subtilités : à vous de chercher.

Si je ne devais garder qu’un disque d’entre les siens, ce serait l’album qu’il consacra aux Sonates et aux Menuets de Carlos de Seixas en les alternant par rapports de tonalités. L’imagination y jaillit sans cesse, une tendresse aussi y paraît, les mélodies s’y nacrent, subtiles, éloquentes, précieuses, et une guitare magicienne chante dans ce clavecin versicolore.

Chez Haydn, pour lequel il hésita entre pianoforte et clavecin, chez Jean-Chrétien Bach, latinisé, devenu incandescent, si proches soudain l’un comme l’autre de Mozart qui pourtant écrivit essentiellement pour le pianoforte, son ton, sa manière, ses foucades et ses poésies d’équilibriste, retombant toujours sur la corde raide des rythmes, produisent autant de merveilles. Mais cette grande heure chez Seixas vous a un parfum d’éternité.

LE DISQUE DU JOUR

cover seixas figueiredo pasCarlos de Seixas (1704-1742)
Sonate XVI en sol mineur
Menuet en sol mineur
Sonate XXI en la majeur
Sonate XIV en fa dièse mineur
Menuet XIV en fa dièse mineur
Sonate XXV en si mineur
Sonate V en ré majeur
Menuet en ré majeur
Sonate VII en ré mineur
Menuet VII en ré mineur
Sonate VIII en ré mineur
Menuet en ré mineur
Sonate X en mi majeur
Menuet en mi majeur
Sonate XII en mi mineur
Menuet en mi mineur
Sonate XLII en fa mineur
Minuet y Glossa en fa mineur
Sonate XLIII en fa mineur
Menuet en fa mineur
Sonate XLIV en fa mineur

Nicolau de Figueiredo, clavecin
Un album du label Passacaille 971
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cover soler figueiredo pasPadre Antonio Soler (1729-1783)
Sonate en ré bémol majeur
(Allegretto)

Sonate en ré b majeur, R. 88 (Allegro)
Sonate en fa # majeur, R. 85 (Allegretto)
Sonate en fa # majeur, R. 90 (Allegro)
Sonate en ré mineur, R. 54 (Allegretto)
Sonate en ré mineur, R. 15 (Allegretto)
Sonate en ré majeur, R. 86 (Andantino)
Sonate en ré majeur, R. 84 (Allegro)
Fandango

Nicolau de Figueiredo, clavecin
Un album du label Passacaille 943
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cover jcbach figueiredo pasJohann Christian Bach (1735-1782)
Sonate en ut mineur,
Op. 17 No. 2
Sonate en si bémol majeur,
Op. 17 No. 6

Sonate en ré majeur,
Op. 5 No. 2

Sonate en sol majeur,
Op. 5 No. 3
Sonate en mi majeur,
Op. 5 No. 5

Nicolau de Figueiredo, clavecin
Un album du label Passacaille 961
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cover haydn figueiredo pasFranz Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour clavier
en ré majeur, Hob. XVI: 37

Sonate pour clavier
en si mineur, Hob. XVI: 32

Sonate pour clavier
en ut mineur, Hob. XVI: 20

Sonate pour clavier
en fa majeur, Hob. XVI: 23

Nicolau de Figueiredo, piano
Un album du label Passacaille 955
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Photo à la une : © Cosimo Mirco Magliocca