Voyage Brahms

Le piano de Brahms, tour à tour symphonie ou lied, séduit les pianistes ces temps-ci : Barry Douglas s’y réinvente, Geoffroy Couteau s’y tente, François-Frédéric Guy, après s’être trouvé dans Beethoven, y accomplirait-il une nouvelle étape de son art en lançant son intégrale avec les trois météores que sont les Sonates ?

Évidemment, rien ne prépare à ce Brahms-là comme la fréquentation de Beethoven : les Sonates en viennent de droite ligne, héroïques de ton, de discours immense et divagant, de couleurs, de timbres, mais les phrases, elles, la mélodie profonde, viennent de Schumann. Guy entend bien cette dualité dans laquelle toute la Première Sonate est moulée, dont les éléments de récitatifs sont schumanniens, et dont les accords, les lancés sont si hammerklavier. C’est rare de trouver à ce point la chose si ambigüe et si réalisée, avec dans le Finale cette folie qui saisissait Richter : littéralement, il fouettait le piano. Guy n’est pas loin de le faire, en tous cas le son évoque un raptus si ardent.

La Seconde Sonate n’aura rien débrouillé des ambiguïtés de la Première, le discours en est plus serré, la matière plus minérale, mais la syntaxe bouillonnante, inextinguible, est absolument celle du pianiste qui est en adéquation parfaite avec l’œuvre. Et la Troisième ?

Ce n’est plus une sonate mais une symphonie, avouée dès l’exorde. Si Guy la tient dans sa poigne, admirable de tension et de pugnacité, il n’y fait pas rentrer l’orchestre, les registrations, les couleurs que Kempff, Arrau, Curzon, Orozco, Leonskaja ou Katchen y taillaient avec le ciseau du sculpteur ou le pinceau du peintre. Aussi admirable soit-elle, il lui manque une ampleur, non pas du discours ou du son, mais de la plénitude harmonique, des retraits plus profonds, des éclats plus rayonnants.

C’est le seul bémol que je mettrais à ces très prometteurs débuts brahmsiens, une certaine « uni-dimentionalité », barbarisme qui explique la confusion de mon sentiment : une prise de son un peu plus spacieuse, des résonances plus attendues, auraient suscité cette dimension laissant croire que le piano est bien un orchestre.

LE DISQUE DU JOUR

cover guy brahms 1 evidenceJohannes Brahms (1833-1897)
Sonate No. 1 en ut majeur,
Op. 1

Sonate No. 2 en fa dièse mineur, Op. 2
Sonate No. 3 en fa mineur,
Op. 5

François-Frédéric Guy, piano

Un album de 2 CD du label Evidence Classics EVCD022
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Photo à la une : © Benjamin de Diesbach