Echappée nostalgique

La belle idée, nous emmener à l’air libre avec son piano. Mais dans l’ombre, pas dans la lumière, car c’est la nostalgie que cherche le clavier de David Kadouch, tourné vers la part secrète des quatre œuvres qu’il assemble ici par le thème et dispose chronologiquement.

Objet de ce disque, la beauté du son,

caressé et évocateur, toujours modelé, refusant la moindre brusquerie – les couleurs des notes si variées et si bien distribuées dans les accords du Jagdlied des Waldzenen seraient un exemple à montrer aux jeunes pianistes. Son secret, outre un art de phraser qu’on dirait d’un liedersänger, une lecture constamment polyphonique de toutes les œuvres. Pas une polyphonie appuyée, mais une polyphonie du chant qui distille des émerveillements constants tout au long des Waldzenen : elles ne le cèdent en rien ni à celles d’Haskil ni à celles d’Arrau.

Plus loin dans le raffinement de la sonorité, plus loin encore dans le mystère et l’évocation, Dans les brumes n’ignore pourtant pas les fantômes dont Janáček les a peuplés, et les apparitions de l’Andante sont sous ses doigts, fluides et évocatrices, avec cet allégement du son jusque dans le forte qu’il aura pris chez Firkusny : pas de marteaux, des timbres.

Même poésie, même art de la couleur et du chant, même sens de l’espace en musique dans En plein air de Bartók, suite d’évocations où les Musiques nocturnes retrouvent le mystère qu’y mettait Dino Ciani, et dont La Chasse finale est un ébrouement de teintes et de lignes diffractées par la vitesse où la clarté et la plénitude du son font tout entendre dans une polyphonie sciante qui installe à égalité trois plans sonores différents dont on suit la progression mesure à mesure.

Haskil, Arrau, Firkusny, Ciani, cela fait certainement beaucoup de glorieux aînés convoqués pour le disque d’un jeune homme de trente ans, mais il en faudra un cinquième : le disque s’ouvre sur une des partitions les plus étonnantes que nous ait laissées Bach, ce Capriccio sopra la lontananza del fratello diletissimo écrit à vingt ans alors que son frère le quittait pour entrer à la cour de Charles XII.

Ses épisodes qui narrent des sentiments successifs trouveront un écho dans le Sturm und Drang, Carl Philip Emanuel puis Dussek emploieront cette manière à satiété, mais le père y transporte une mélancolie de plus en plus sombre dont David Kadouch distille les tristesses avec des phrasés aussi bouleversants que pudiques. Il a bien raison de faire sonner en demi-teintes la réjouissance puis l’Aria di postiglione en les dorant d’une sonorité de flûte, Kempff ne faisait pas autrement.

Mais si justement, j’évoque ici des poètes du clavier, c’est confondu devant cet art qui me semble d’un autre temps. Comme les Impromptus de Schubert lui iraient bien !

LE DISQUE DU JOUR

cover kadouch mirare en plein airEn plein air

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo, BWV 992
Robert Schumann (1810-1856)
Waldszenen (Scènes de la forêt)
Leoš Janáček (1854-1928)
Dans les brumes
Béla Bartók (1881-1945)
En plein air, Sz. 81, BB 89

David Kadouch, piano

Un album du label Mirare MIR274
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Photo à la une : © DR