Terreur sur le Nil

Une nouvelle Aida au studio, il fallait l’oser en ces temps de disette. Mais voilà, afficher le Radamès de Jonas Kaufmann suffit à rendre l’entreprise viable, et avouons-le passionnante. Côté italien, le ténor allemand s’est beaucoup confronté à la vocalité puccinienne, sans en avoir à mon sens ni la coulure ni la texture : ses Pinkerton, Cavaradossi et Des Grieux barytonnés m’ont toujours semblé hors propos et presque hors style, le seul de la galerie qu’il ait jusque-là réussi restant son Dick Johnson de La Fanciulla del West où il s’est révélé irrésistible de splendeur vocale et de sex-appeal.

Pourtant, quitte à vouloir absolument gagner ses galons dans le répertoire italien plutôt que chez Wagner, la vocalité verdienne l’appelait naturellement. Après tout, la voix de Kaufmann n’est pas si éloignée que cela, par le placement et les couleurs, de celle d’Helge Roswaenge. Un Alvaro de La Forza del Destino l’avait montré enfin pleinement chez lui, presqu’autant qu’en son Werther. Mais Radamès, où les diseurs du temps passés ont laissé à jamais leurs empreintes, et Pertile son aigu stellaire ? Un Celeste Aida engorgé, à l’aigu plus poussé que lancé, fait craindre le pire à la quasi-ouverture du rideau, et il ne faut pas, pour le simple bel canto, sans parler de l’italien, lui confronter Bergonzi qui l’atomise en deux secondes.

Pourtant, à mesure que le drame se déroule, il investit son Radamès, composant un personnage justement parce que le chant de son héros lui est rebelle : dans la scène finale de l’emmurement, il sera simplement bouleversant.

Vous l’aurez compris, ce n’est pas lui qui fera le prix de cette nouvelle Aida, ni l’Amneris flamboyante d’Ekaterina Semenchuk qui machouille son italien, mais bien l’héroïne qui nomme l’opéra : Anja Harteros s’éclate en fille de l’éthiopien, sublime de violence, un volcan et un prodige vocal comme le chant verdien ne l’espérait plus.

Ludovic Tézier met autant de bel canto à son Amonasro que de fureur et à eux deux, ils nous font un tableau du Nil terrifiant. Sur cette Aida décidément très sombre, Antonio Pappano distille un drame mortifère, d’une puissance suggestive plus entendue depuis les gravures de Solti et de Karajan ; si cette Aida monte au parnasse, c’est autant grâce à lui qu’à Harteros : les héros ne sont pas où on les attendait. Et d’aileurs, écoutez seulement Le Messagger de Paolo Fanale.

LE DISQUE DU JOUR

cover aida warnerGiuseppe Verdi (1813-1901)
Aida, opéra en quatre actes sur un livret d’Antonio Ghislanzoni d’après une intrigue d’Auguste-Édouard Mariette

Anja Harteros, soprano (Aida)
Jonas Kaufmann, ténor (Radamès)
Ekaterina Semenchuk, mezzo-soprano (Amneris)
Ludovic Tézier, baryton (Amonasro)
Erwin Schrott, baryton-basse (Ramfis)
Marco Spotti, basse (Le Roi d’Égypte)
Paolo Fanale, ténor (Le Messager)
Eleonora Buratto, soprano (La Prêtresse)

Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia Antonio Pappano , direction

Un coffret de 3 CD du label Warner Classics 082564610663
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Photo à la une : © DR