Sacre russe ?

Le Sacre du printemps, qui plonge son orchestre décisif pour la modernité dans les rites d’une ancienne Russie fantasmée, aura connu en Union Soviétique une éclipse totale jusqu’à ce que Robert Craft ne l’y révèle lors du voyage de Stravinski à Moscou en … 1962.

Quatre années plus tard, Evgeni Svetlanov, qui connaissait la partition sur le bout des doigts, en gravait pour Melodiya une lecture d’apocalypse prenant à contre-pied tout ce que l’Occident avait mis dans cette œuvre. Littéralement, il implosait Le Sacre façon bombe atomique, porté par des timbres crus, déflagré par les vibratos des cors et les pointes de glace des clarinettes russes. Inouï. Lecture géniale, jamais retrouvée depuis.

Teodor Currentzis, citoyen du monde et chef charismatique fan de Xenakis et de techno, dispose d’un orchestre composé à quatre-vingt dix-huit pour cent de musiciens russes. Mais sa Russie s’arrête là, il regarde Le Sacre comme un manifeste de la modernité, un de plus, et le dirige droit, preste, avec une pointe de distance ironique même lorsqu’il en règle avec une minutie qui doit autant à son art qu’aux micros de Nicolas Bartholomée, les déflagrations et les précipices. Post-moderne donc, plus inquiet que terrifiant, plus fébrile qu’exalté, plus coloriste qu’expressionniste, quelque chose d’éminemment confortable qui eut justement conforté Debussy dans son jugement, un Sacre pour tous les jours. Et comme en contradiction avec la présentation étrange dont Sony pare l’objet, double boitier, cercles psychédéliques, qui voudrait faire croire à un projet radical.

Le projet certainement exista dans l’esprit du jeune chef grec, mais comme souvent lorsque celui-ci entre au studio d’enregistrement, il aura trépassé sous le « diktat » d’épuisantes, d’interminables sessions. Après la lecture radicale de Salonen, j’espérais plutôt Le « Sacre » d’un autre artiste Sony : Kristjan Järvi.

LE DISQUE DU JOUR

cover stravinsky currentzis sony
Igor Stravinski (1882-1971)
Le Sacre du printemps
(Ballet intégral, version 1947)

MusicÆterna
Teodor Currentzis, direction

Un album du label Sony Classical 8875061412
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Photo à la une : © DR