Retour espéré

En novembre 1994, Ekaterina Derzhavina, une jeune pianiste moscovite de vingt-sept ans gravait une version désarmante des Variations Goldberg, parfaitement construite, subtilement phrasée, d’un clavier lumineux et tendre. Puis plus rien jusqu’à ce qu’elle revienne au disque pour trois albums Medtner marqués du même toucher tendre et volatile, d’un clavier agile où tout chante.

Donc, vingt ans après ces fameuses Goldberg, retour à Bach dans les studios de la Radio de Saarbrücken pour une intégrale des Suites françaises où le son si beau, si naturel, de ce piano tout en lumière est bien mieux capté que jadis celui des Variations Goldberg. Et ce clavier soudain prend une éloquence, un corps, des contrastes qui vont du plein orgue à la flûte.

Cette science de faire sonner Bach qui signait tout récemment le disque de François Dumont se retrouve ici. Les pianistes ne craindraient-ils plus d’assumer un discours où le clavecin – sinon la pratique historiquement informée – ne vient plus troubler le jeu ?

Derzhavina va très loin dans ce cahier qui – parmi l’ensemble des Suites de clavier – est le moins offert : on sait que la vraie musique française se trouve dans les Suites anglaises. Les Suites françaises juxtaposent des idées de danse avec des réflexions abstraites, leur langage est bien plus radical, tout cela Derzhavina l’entend mais ne l’empêche pas de chanter, et d’orner avec un art minimaliste clouant. On comparera avec intérêt sa lecture sans fard à celles de Koroliov ou de Nikolayeva : elle est bien de la même famille.

Les œuvres ajoutées en complément sur le second disque – Ouverture à la française, la somptueuse Aria variata et 4 Duetti – nous ramènent vingt ans en arrière : Derzhavina les avait gravées en avril 1996 pour la Radio de Moscou : piano moins bien réglé, jeu plus âpre, ces gravures permettent de prendre la mesure de l’évolution de son art, et montrent déjà sa compréhension innée de l’univers de J. S. Bach. Et si ces Suites françaises était le prélude à une intégrale Bach selon cette pianiste trop rare ? Espérons-le.

PS : Si l’éditeur presse à nouveau les disques, il devra retirer à la fin la Gigue de la Suite en si mineur un étrange bruit, heureusement survenu une fois que la musique a cessé.

LE DISQUE DU JOUR

cover bach suites derzhavina
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
6 Suites françaises (Intégrale)
Suite No. 1 en ré mineur, BWV 812
Suite No. 2 en ut mineur, BWV 813
Suite No. 3 en si mineur, BWV 814
Suite No. 4 en mi b maj, BWV 815
Suite No. 5 en sol majeur, BWV 816
Suite No. 6 en mi majeur, BWV 817

Ouverture dans le style français, en si mineur, BWV 831
Aria alla maniera italiana (Thème – Variations I-X) en la min, BWV 989
4 Duettos, BWV 802-805
Duetto No. 1 en mi mineur, BWV 802
Duetto No. 2 en fa majeur, BWV 803
Duetto No. 3 en sol majeur, BWV 804
Duetto No. 4 en la mineur, BWV 805

Ekaterina Derzhavina, piano

Un album de 2 CD du label Hänssler Classic PH14043
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Photo à la une : © DR